Un Président qui n’a pas (encore) admis sa défaite électorale.
Vendredi dernier, après d’ultimes péripéties qui n’ont pas renforcé son autorité, loin s’en faut, Emmanuel Macron s’est résigné à désigner François Bayrou pour succéder à Michel Barnier comme Premier ministre. Alors qu’il avait annoncé le 5 décembre que la nomination du nouveau chef du gouvernement était imminente, le déroulement d’une semaine de consultations sous des formes variées montre qu’il n’a pas renoncé à être le maître du jeu et à garder la main sur la politique menée par le pouvoir exécutif. En désignant une personnalité issue de ce que Michel Barnier appelait le socle commun, le Président de la République a pris le risque d’une nouvelle crise à brève échéance qui pourrait conduire au blocage des institutions et, peut-être même, comme le prédit avec envie et gourmandise Jean-Luc Mélenchon, à sa démission. Tentative d’explication de ce choix.
Les résultats des élections législatives de juillet dernier n’ont pas apporté la clarification souhaitée par Emmanuel Macron lorsqu’il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Celle-ci est plus divisée que jamais, en trois blocs d’inégales homogénéité et discipline. L’élection de la Présidente de la chambre ayant montré l’existence potentielle d’une courte majorité relative, constituée par l’alliance des groupes qui le soutiennent depuis 2017, LR et divers modérés, le Président, plutôt que de désigner un représentant du Nouveau Front Populaire, s’est tourné vers un membre de LR. En faisant le pari que Marine Le Pen et le groupe du Rassemblement national s’abstiendraient de censurer à brève échéance le nouveau gouvernement. Pari perdu au bout de trois mois à peine pour des raisons diverses.
Compte-tenu de cet échec, Emmanuel Macron aurait dû revenir à la principale leçon à tirer des législatives : alors que le premier tour avait porté largement en tête le Rassemblement national, le second tour a vu une majorité des Français se réunir autour du Front Républicain, animé et dominé par le Nouveau Front Populaire (NFP), pour refuser que Jordan Bardella entre à Matignon. La conclusion qui s’imposait aurait dû être de désigner, si ce n’est un responsable de NFP, une personnalité qui en soit proche et qui puisse à tout le moins s’appuyer sur les différences d’approche et les divisions existant entre ses quatre composantes principales. Le Rassemblement national ayant montré qu’il n’était pas un “allié” objectif fiable et le socle commun s’étant révélé à tout le moins friable, il fallait tenter une démarche différente et se tourner vers la gauche.
Mais ce changement de stratégie imposait d’admettre deux évidences.
D’une part, la politique suivie par le futur gouvernement ne pourrait pas être la continuation, sous une forme à peine atténuée, de celle menée depuis 2017, alors que deux-tiers des électeurs, qu’on le regrette ou pas, se sont prononcés contre cette politique, il y a moins de six mois. Dans la situation de division qui est celle de l’Assemblée nationale, aucun parti ou coalition de partis ne peut prétendre appliquer “rien que son programme, mais tout son programme”. Tout gouvernement est contraint aux compromis. Mais ceux-ci doivent refléter les choix des électeurs et les tenants du précédent exécutif doivent accepter de voir, au moins partiellement, “détricoté” ce qu’ils ont fait précédemment.
D’autre part, le Président de la République doit admettre que n’ayant pas de majorité stable et suffisante pour le soutenir au Parlement, il n’a plus la possibilité, en dehors du champ régalien, de déterminer la politique de la nation et a fortiori de la conduire. C’est la conséquence inéluctable de la nature hybride de la Constitution : présidentielle quand les majorités sont alignées, elle redevient parlementaire quand le Président n’a pas de majorité à l’Assemblée. Les trois cohabitations de 1986, 1993 et 1997 l’ont montré. Mais tout ce qu’a entrepris Emmanuel Macron depuis juillet dernier en matière de politique intérieure souligne le fait qu’il ne l’a pas (encore) admis.
Il faudra, dans ces conditions, beaucoup d’habileté et de force de persuasion à François Bayrou pour arriver à durer plus longtemps que son prédécesseur tout en gouvernant et faisant adopter les mesures que la situation économique et financière appelle. Convaincre Emmanuel Macron de passer “du quoiqu’il en coûte au quoique j’en pense” ne sera pas le moindre de ses défis.
Eric Giuily, Président de CLAI
Raphaël Caors, Consultant Senior
Chloë Loyen, Consultante