« Uber Files » ou quand une crise médiatique fait « pschitt »
Le 10 juillet, les révélations par le Monde et France Inter des conclusions de l’enquête menée par un consortium international de journalistes d’investigation (CIJI) sur les méthodes utilisées par Uber pour implanter ses activités de VTC en dehors des Etats-Unis ont semblé menacer le Président de la République.
Alors qu’il était Ministre de l’Économie de 2014 à 2016, Emmanuel Macron aurait en effet, selon le consortium, multiplié les contacts avec les représentants du groupe américain et œuvré dans l’ombre pour soutenir une évolution du régime défini par la loi Thévenoud peu de temps auparavant. Le Président se voit reprocher d’avoir été « plus qu’un soutien, quasiment un partenaire » de l’entreprise de San Francisco. Il aurait rencontré lobbyistes et dirigeants d’Uber puis directement échangé avec eux par SMS, à de multiples reprises. Ces contacts auraient, entre autres, abouti à des « pressions » exercées par le cabinet d’E. Macron sur la DGCCRF alors qu’Uber faisait l’objet de multiples contrôles et enquêtes, et au soutien par le futur Président lui-même d’amendements prérédigés par Uber et déposés par le député Luc Belot (PS).
En quelques heures la sphère politique et médiatique se déchaîne. La loyauté de l’ancien ministre à l’égard du gouvernement auquel il appartenait et même des intérêts de la France est mise en cause. Face à ce déferlement, Emmanuel Macron adopte une stratégie de communication claire et qui va se révéler efficace : assumer pour recentrer le débat et lui faire perdre son caractère polémique. Et la controverse s’est éteinte aussi rapidement qu’elle s’était embrasée. Retour sur une stratégie de communication de crise gagnante.
Face à l’embrasement politique et médiatique…
Les « Uber files » à peine révélés par le Monde et France Inter, se déclenche une surenchère politique et médiatique : les oppositions au Président et divers commentateurs rivalisent de petites phrases, et pour certains de véritables attaques, au micro des médias ou sur Twitter. Aurélien Taché,, député EELV mais ancien député LREM dans la précédente législature, dénonce par exemple « un scandale d’État [et] un cas où la responsabilité pénale d’Emmanuel Macron pourrait être engagée ». Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, voit quant à elle en Emmanuel Macron « un lobbyiste pour multinationale états-unienne visant à déréguler durablement le droit du travail » et qui aurait organisé « le pillage du pays ». Son commentaire est d’ailleurs proche de celui de Jordan Bardella, du RN : « le parcours d’Emmanuel Macron a une cohérence, un fil rouge : servir des intérêts privés, souvent étrangers, avant les intérêts nationaux ». Et il ne s’agit que de quelques exemples.
Aux attaques sur le fond et la forme de l’action supposée en faveur d’Uber de l’ancien Ministre de l’Économie s’ajoute une menace plus concrète, principalement brandie à gauche : des députés de la NUPES font part de leur volonté de demander la constitution d’une commission d’enquête parlementaire.
La première réaction vient de l’Élysée auprès de l’Agence France Presse dès le 10 juillet et consiste à rappeler que l’actuel Président était « naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises engagées dans la mutation profonde des services advenue au cours des années évoquées, qu’il convenait de faciliter en dénouant certains verrous administratifs ou réglementaires ». Cette réaction abondamment reprise dans les médias pose les bases d’une reprise en main vigoureuse et efficace de la communication de crise par Emmanuel Macron en personne.
…Réagir rapidement et assumer.
En effet, le Président répond le 12 juillet à ces accusations rapidement et très fermement, assumant « à fond […] avoir fait son travail » en rencontrant les dirigeants d’Uber et facilitant leur implantation en France : « s’ils ont créé des emplois en France, je suis hyper fier de cela », affirme-t-il en marge d’un déplacement..
Deux jours après l’éclatement des « Uber Files », il se garde de rentrer dans une bataille de détail sur les faits allégués par le Monde et revendique, au contraire, le fait d’avoir travaillé à attirer une entreprise étrangère sur le sol français et à « se battre pour que les jeunes qui viennent de milieux difficiles aient des emplois ». Il a ensuite profité de son interview télévisée du 14 juillet pour donner sa lecture des faits en répondant aux questions de France 2 et TF1. Interrogé sur le fait d’avoir favorisé les intérêts du groupe américain, il se pose en pourfendeur de la rente économique des compagnies de taxis et en héraut de l’égalité des chances : « je vais vous dire que je regrette ?! Jamais ! ».
C’est ainsi que le Président a étouffé la polémique : le volume d’articles dans les média et d’activité sur les réseaux sociaux consacrés aux « Uber files » a rapidement décru et le sujet est vite sorti des radars. Reste à essayer de comprendre pourquoi. Pour des raisons de fond autant que de circonstances.
Les raisons de fond : si les révélations avaient eu lieu en 2016 ou 2017 alors que la « bataille des VTC » battait son plein, elles auraient eu sans aucun doute des répercussions très différentes. Mais en 2022, la querelle est largement apaisée et les faits ont donné raison au Ministre de l’Économie de l’époque. Globalement, le développement des VTC s’est traduit par une croissance du marché et n’a pas diminué celui des taxis. Une nouvelle clientèle, qui n’utilisait pas ceux-ci, notamment les jeunes, est apparue. La concurrence a conduit les taxis à réagir et à améliorer leur qualité de service qui laissait souvent à désirer. Les plus lucides des chauffeurs de taxi n’hésitent d’ailleurs pas à dire qu’Uber a été une chance pour eux.
Mais les circonstances ont également aidé le Président et donné toute son efficacité à sa communication. À peine avait-il terminé son intervention du 14 juillet que la couverture des incendies du sud-ouest et de la canicule a saturé les médias alors que les débats au Parlement sur la loi santé puis sur la loi pouvoir d’achat finissaient d’occuper le temps de cerveau disponible des journalistes, des commentateurs et des citoyens.
Morale de l’histoire : pour réussir une communication de crise, il faut une bonne stratégie, une mise en œuvre cohérente et persévérante… et des circonstances favorables.