Notre regard sur… la « guerre des trottinettes » à Paris, ou quand une bataille de communication en nourrit une autre
« En finir avec l’anarchie ».
Anne Hidalgo a décidé de frapper fort, mercredi 5 juin, en renforçant la réglementation des trottinettes électriques à Paris. Entourée pour l’occasion de plusieurs adjoints, la maire de Paris a annoncé lors d’une conférence de presse sa décision de lancer d’ici quelques mois un appel d’offres pour permettre à seulement deux ou trois sociétés d’exploiter des trottinettes en libre-service, tout en réduisant leur vitesse et en encadrant leur stationnement, sans attendre.
Les trottinettes séduisent autant qu’elles agacent. Plus encore que les vélos en « free-floating », qui ont presque disparu des radars, les trottinettes divisent et polarisent les tensions. Parmi les principaux griefs figurent le manque de civisme des usagers, les risques d’accidents et le modèle social précaire imposé aux « juicers » (qui rechargent chaque nuit les trottinettes pour quelques euros). Mais aussi et surtout la gêne causée par les trottinettes sur les trottoirs de la capitale. En seulement quelques mois, pas moins de 35 000 trottinettes ont fleuri dans les rues de Paris, selon les données collectées par la société Geo4cast.
Une bataille de communication entre opérateurs au service d’une guerre économique….
C’est un enjeu essentiel pour la douzaine d’opérateurs installés à Paris : la visibilité et la présence massive de leurs trottinettes est la clé de leur performance, alors qu’aucun d’entre eux ne parvient pour l’instant à générer de profits. Tous souhaitent, au risque de saturer l’espace public, poursuivre leur expansion pour faire partie des quelques opérateurs qui rafleront la mise lorsque les autres auront décidé d’arrêter les frais ou pour être les plus crédibles, grâce à leur part de marché, dans le cadre du futur appel d’offres annoncé par la Maire.
Alors que les critiques et les protestations se multiplient (avec une expression de désapprobation non-violente qui consiste à faire tomber les trottinettes sur la chaussée, ou plus radicale en les jetant dans la Seine ou le canal Saint-Martin), la bonne conduite des opérateurs et des utilisateurs de trottinettes revient au centre du jeu pour tous les acteurs.
Plusieurs opérateurs ont choisi d’axer leur communication sur l’incitation des utilisateurs à adopter un comportement vertueux. Lime, le leader du marché français, vient de lancer une grande campagne intitulée « Trottinons responsable », qui promeut les bons comportements des usagers, d’ouvrir une « Académie Lime » et d’annoncer le recrutement de 50 agents chargés de faire respecter la charte de bonne conduite signée avec la Ville de Paris.
Un opérateur qui s’est lancé au cours des derniers mois à Paris, Lyon et Marseille a même fait le choix de changer de nom, passant de « Flash », qui évoque uniquement la vitesse, à « Circ », qui suggère davantage la proximité et l’économie circulaire. Circ fait de sa bonne conduite un élément profondément différenciant, au cœur de sa communication : recours systématique à des CDI, réduction de la flotte disponible, incitation à un stationnement licite…
….qui rejoint une communication municipale au service d’une campagne politique
Alors qu’Europe Écologie-Les Verts a recueilli près de 20% des suffrages à Paris lors des élections européennes et LREM plus de 30%, la liste soutenue par la Maire en ayant obtenu 8%, Anne Hidalgo multiplie les messages à l’égard de son électorat potentiel.
En début de semaine, elle conduisait Total à renoncer à devenir sponsor des Jeux Olympiques de 2024, avançant qu’il « serait très difficilement compréhensible pour nos concitoyens que soient retenues des entreprises dont l’activité aurait un lourd impact sur l’environnement, en se fondant notamment sur le recours massif à des énergies carbonées ». Un clin d’œil aux écologistes.
Mercredi, elle accordait un grand entretien à Libération sur les défis spécifiques de la mixité sociale et des quartiers populaires à Paris. Dans le viseur, les électeurs de gauche et notamment de la France Insoumise.
Jeudi, avec les mesures à l’égard des trottinettes, la Maire a voulu montrer que son engagement de longue date en faveur des mobilités douces ne lui faisait pas perdre de vue ses responsabilités en matière de police municipale et notamment la nécessité d’assurer la sécurité et la libre circulation des piétons sur les trottoirs. Elle a décidé d’agir, sans attendre l’adoption de la loi d’orientation des mobilités, qui comprendra des dispositions relatives aux trottinettes, et de reprendre la main sur un sujet crispant pour de nombreux Parisiens, notamment parmi les personnes âgées. Au risque de déplaire aux jeunes actifs qui sont le cœur de ses soutiens.
On ne peut qu’être frappé par la concordance des thèmes entre la communication des opérateurs les plus dynamiques et celle de la Maire. Reste à savoir si cette « complicité objective » les renforcera mutuellement ou restera la marque de leur faiblesse respective.