Les risques du mécénat
Phénomène marquant de la fin du 20ème siècle, le développement du mécénat d’entreprises a conduit celles-ci à organiser et rationaliser leurs interventions en faveur des causes d’intérêt général. Les plus grandes d’entre elles ont créé des fondations, ont strictement défini leur périmètre d’actions et mis en place des structures de gouvernance destinées à éviter les conflits d’intérêts, le fait du prince autant que le copinage ou le gaspillage. Plusieurs dossiers récents ont mis en évidence l’autre face des risques du mécénat : ceux que courent ses bénéficiaires. Ceux-ci sont aujourd’hui confrontés à des problématiques de choix de leurs mécènes et à la nécessité d’être vigilants dans le contenu et le déroulement des partenariats ainsi conclus.
De la difficulté d’être aidé sans perdre son âme
Une très forte mobilisation d’associations de patients, puissamment relayée par les médias, ont conduit plusieurs institutions culturelles américaines et anglaises à renoncer au mécénat de la famille Sackler, très généreuse donatrice depuis plusieurs générations mais dont le nom est désormais irréversiblement entaché par la crise des opioïdes aux Etats-Unis. Plus près de nous, le ministère de la culture a décidé de rembourser les 200 millions versés par un grand groupe international pour la restauration d’un monument à la suite de la mise en examen d’une filiale de la société par la justice française.
Le sujet a même pris une dimension politique nationale lorsqu’Anne Hidalgo a poussé Total à renoncer à devenir l’un des principaux partenaires des Jeux olympiques de 2024 à Paris, au motif que les activités du Groupe dans les énergies fossiles seraient en contradiction avec l’ambition d’un événement « exemplaire sur le plan environnemental ». Décision rapidement dénoncée par le Président de la République qui a critiqué « les états d’âmes sur l’argent privé » de la maire de Paris, estimant qu’il n’allait pas « expliquer à tous les salariés de Total en France qu’ils ont un travail qui n’est pas digne ». D’autres se sont demandés pourquoi s’en prendre à ce groupe plus particulièrement : existe-t-il une grande entreprise industrielle dont on puisse dire sans crainte de contestation que la totalité de ses activités sont « exemplaires sur le plan environnemental » ? Et que faire pour les banques qui financent leurs projets ou pour les compagnies d’assurance qui en couvrent les risques ? Quelques semaines auparavant, le « mécénathon pour grandes fortunes » déclenché par l’incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris avait été critiqué sur les réseaux sociaux comme une opération de « patrimoine washing », financée aux deux-tiers par l’État et potentiellement compromettante pour son bénéficiaire, quelle que soit l’importance de la restauration du monument.
« Faut-il en finir avec le mécénat ? »
Au-delà de ces quelques exemples, les intérêts cachés des donateurs (réduction d’impôt équivalente à 60% du montant du don, usage privé de lieux publics, enjeux d’image) sont de plus en plus soulignés. Bercy n’a d’ailleurs pas manqué de proposer de rendre moins attractif le dispositif fiscal lié au mécénat, et le Gouvernement semble pencher pour une réduction du crédit d’impôt de 60 à 40% pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros avec la volonté de préserver le mécénat dit de proximité par opposition aux très grandes opérations financées par les très grands groupes. Dans le même temps, les règles posées par la loi Sapin 2 en matière de cadeaux limitent fortement, en raison du coût des places, les invitations à des spectacles culturels ou à des compétitions sportives, qui sont pourtant une des principales contreparties de ce type de mécénat. Que proposer aux entreprises à la place ?
Mais plus fondamentalement, c’est le problème de l’adéquation entre les activités des entreprises et les projets qu’elles soutiennent qui est soulevé et fait l’objet de dénonciations croissantes. Le climat de défiance est tel qu’Admical, l’association créée par Jacques Rigaud dans les années quatre-vingt pour développer le mécénat d’entreprises, dédie son colloque annuel à l’automne prochain à la question « Faut-il en finir avec le mécénat ? ».
Vu du point de vue des bénéficiaires, la réponse est clairement non. « L’Etat ne peut pas se priver de l’apport du mécénat » disait déjà en 2012 la ministre de la Culture Aurélie Filippetti qu’on ne peut soupçonner d’être par idéologie favorable aux intérêts privés. Et la plupart des grandes institutions culturelles, sociales ou sportives pourraient en dire autant. Sans oublier la multitude de manifestations locales plus modestes qui ne pourraient se tenir ou d’établissements qui ne pourraient fonctionner sans le soutien même très limité de quelques sponsors.
82 000 entreprises en France ont financé une activité de mécénat, pour un total de dons déclarés d’environ 2 milliards d’euros[1]. Les polémiques actuelles font peser un risque sur le montant de ces dons et il faut donc rechercher les moyens de répondre à ces critiques et d’apaiser la controverse. Pour cela, les institutions qui font appel au mécénat doivent poser et se poser quelques règles.
Si l’apport du mécénat d’entreprises est reconnu par l’ensemble des acteurs du secteur comme un élément indispensable et structurant de la plupart des projets culturels, sportifs ou sociaux, c’est sa position de plus en plus dominante dans chacun de ceux-ci qui suscite des interrogations et des critiques. Le Sénat a compris l’actualité et l’importance du sujet puisqu’il vient d’annoncer la tenue d’un colloque qui lui sera consacré à l’automne.
La première règle à respecter est donc de limiter la part du mécénat dans le financement total du projet ou de l’institution. Il doit rester minoritaire et si possible, quand les sommes en jeu sont importantes être partagé entre plusieurs sponsors.
La deuxième règle est d’assurer une véritable transparence dans le choix des entreprises sollicitées et dans les contreparties accordées aux partenaires, comme dans les engagements qu’ils souscrivent. Plusieurs organismes ont déjà défini de façon purement volontaire des chartes d’éthique pour leur politique d’appel au mécénat. Celle-ci peut notamment prévoir la mise en place d’un comité ou d’un groupe de personnalités indépendant chargé de donner un avis sur les mécènes potentiels et les accords envisagés.
La dernière règle est de mettre en œuvre une communication forte et pédagogique sur celui-ci, le contenu des accords de partenariat, ce qui en est attendu et ce qui est accordé en échange.
Pour aller au-delà de ces premiers conseils, le Gouvernement serait bien inspiré de profiter du momentum créé par la réforme sur la fiscalité du mécénat pour susciter une réflexion plus large afin de dresser un bilan du mécénat d’entreprises du point de vue de ses bénéficiaires et un état des meilleures pratiques dont chacun d’entre eux pourrait s’inspirer à l’avenir.