Les politiques peuvent-ils bien communiquer en période de crise sanitaire ?
Depuis le début de l’année, et comme en 2020, chaque semaine est rythmée par les prises de parole du gouvernement, souvent multiples, parfois contradictoires, qui détaillent l’évolution de l’épidémie en France et justifient ainsi ses décisions. Celles-ci oscillent entre consignes sanitaires renforcées, couvre-feu et reconfinement, sans que les Français comprennent nécessairement les choix effectués. En réaction, les membres de l’opposition interpellent le Gouvernement et le Président de la République, critiquent les mesures prises, sans toujours beaucoup de cohérence, il faut bien le dire. Ainsi, début janvier, alors que certains élus de l’opposition de droite réclamaient l’adoption de mesures plus strictes que le couvre-feu, tel Jean Rottner, Président LR de la région Grand Est, qui le qualifiait de « demi-mesure », la présidente LR du département des Bouches-du-Rhône clamait dans le même temps sur Twitter : « Contre le Couvre-feu à 18h ! (…) Testons nous, vaccinons-nous mais ne confinons plus ! ». A l’image sans doute des Français, qui, dans un même sondage il y a dix jours, se prononçaient majoritairement pour un nouveau confinement mais contre un renforcement des mesures de restrictions sanitaires (sondage IFOP- Le Journal du Dimanche, 31/01/2021). Force est de constater que les politiques ont du mal convaincre et que l’équilibre à trouver pour emporter l’adhésion des Français, les rassurer tout en maintenant un niveau de précaution maximum sans pour autant créer d’inquiétude, est apparemment plus que difficile à atteindre. Est-ce à dire qu’il n’est pas possible de communiquer efficacement en cette période délicate et imprévisible ?
Ce n’est pas certain comme en témoigne l’analyse de près d’un an de communication des politiques sur l’épidémie, qui permet de tirer quelques enseignements pratiques.
Retour sur près d’un an de communication
Depuis mi-mars, en France, deux types de communication peuvent être considérées comme ayant atteint leurs objectifs, même s’ils sont à l’opposé l’un de l’autre.
Les décisions concernant les deux premiers confinements ont été prises en quelques heures, à la suite d’une aggravation soudaine de l’épidémie en France. Une dégradation de la situation sanitaire qui imposait une réponse immédiate prise au sommet de l’Etat et qui s’est traduite par une prise de parole solennelle du Président de la République face aux Français lors des journaux télévisés de 20h. Ces interventions ont permis à la fois d’expliquer les causes, d’annoncer les principales mesures, de donner le sentiment d’un exécutif qui tenait fermement la barre de la lutte contre la pandémie tout en veillant à l’indispensable solidarité, illustrée par le désormais célèbre « quoiqu’il en coûte ». La nature des mesures prises et commentées permettait d’affirmer fortement que l’exécutif était en action, que « le chef cheffait » pour reprendre une expression chère à Jacques Chirac. Et de susciter une adhésion autour de ce constat rassurant, quels que soient les efforts demandés à la population.
De manière très différente, presque opposée, durant le premier confinement, les longues conférences de presse du Premier ministre, Edouard Philippe, le dimanche en fin d’après-midi ont marqué les esprits tant par l’effort de pédagogie qui les caractérisait et qui se traduisait par la parole donnée à des experts que par la modestie affichée par le chef du gouvernement qui ne ratait jamais une occasion de rappeler toutes les incertitudes et inconnues entourant l’épidémie et accompagnant la lutte pour la contenir. Il est clair à tout le moins que la popularité d’Edouard Philippe a largement profité de sa gestion de la crise.
Entre ces deux extrêmes, peu de prises de parole ont convaincu et, d’une communication quasi-permanente, ont surtout émergé un sentiment de cacophonie, une impression d’improvisation permanente, un procès d’incohérences frisant parfois l’absurde, qui ont nourri le scepticisme puis le refus voire le rejet ouvert des restrictions sanitaires.
Quelques enseignements pratiques.
Hormis pour les mesures les plus « radicales ou régaliennes » qui se prêtent, on l’a dit, à des annonces verticales et solennelles, seule la pédagogie peut permettre d’entraîner l’adhésion et elle suppose un effort permanent de concertation tant avec les politiques qu’avec les acteurs de la société civile. Concertation qui est plus facile et efficace au niveau local que national. Renvoyer l’adaptation des mesures vers les préfets et les élus locaux permettraient une communication plus proche du terrain, plus apte à convaincre. Même si la deuxième épidémie en Allemagne a montré les limites d’un système très décentralisé. De manière différente, au niveau national, l’annonce par le Premier ministre qu’un nouveau confinement ferait l’objet d’un débat préalable au Parlement va dans le sens d’une responsabilisation de tous et est donc bienvenue.
Par ailleurs, sur des sujets aussi imprévisibles, il faut se méfier de la polémique et notamment des petites phrases destinées à être reprises en boucle par les chaînes d’information et à faire les titres des journaux. Les punch lines peuvent vite transformer leurs auteurs en punching balls. Qui ne se souvient des affirmations, en janvier 2020, de la porte-parole du gouvernement selon lesquelles les Français ne sauraient pas vivre avec des masques ? Ou de la réponse du Ministre de la santé, en mars, selon laquelle le virus ne s’arrêtait pas aux frontières, pour justifier le refus de fermer celles des pays européens.
Il est clair que le gouvernement, comme l’opposition, aurait tout à gagner d’une réduction des prises de parole sur le sujet et d’une vraie centralisation dans chaque camp de la rédaction des éléments de langage. De manière générale, la multiplication des déclarations ne peut qu’en affaiblir la portée, sauf à ce qu’elles s’inscrivent dans un effort cohérent de pédagogie.
Enfin, la temporalité, et donc la gestion du temps, sont des éléments essentiels de la crédibilité et par voie de conséquence de l’efficacité de la communication. Comme dans toute gestion de crise. On ne pouvait manquer de s’étonner fin janvier, qu’en même temps, l’exécutif annonce le retour des étudiants dans les universités et l’étude d’un confinement généralisé. Comment mobiliser sur un tel grand écart ? Il faut savoir, même sous la pression, résister à la tentation de répondre et d’agir dans l’instant comme à celle de céder à l’illusion des effets d’annonce, pour attendre le bon moment.
Dans la lutte contre la Covid 19, les politiques doivent schématiquement arbitrer entre trois contraintes : le nombre de lits de réanimation occupés par des victimes de l’épidémie, le niveau de l’activité économique et, de manière plus récente mais de plus en plus prégnante, le moral des Français. Un équilibre subtil et mouvant qui justifie une grande constance dans la pédagogie et une prudence permanente dans son expression.