Le Slip Français … retour sur un flop de l’employee advocacy
Faut-il encourager ses salariés à intervenir sur les réseaux sociaux pour parler de leur entreprise sur leurs comptes personnels afin d’en donner une image moins formelle et de bénéficier du capital de sympathie que peuvent créer des messages plus libres, plus spontanés et surtout incarnés par des pairs ? A l’heure de la défiance à l’égard de toute communication verticale, la parole des semblables, des égaux, a souvent plus de poids et de crédibilité que celle des représentants officiels de la société. Dans un monde hyper connecté où pour émerger et se faire entendre, il faut savoir faire dire du bien de soi par les autres, les collaborateurs ne sont-ils pas la première des communautés à mobiliser pour promouvoir et défendre l’image de l’entreprise ? Ce que l’on appelle de plus en plus l’employee advocacy.
Pour avoir largement misé sur cette forme nouvelle de communication, le Slip Français vient de connaître une crise qui en montre les limites et les risques. Et incite à s’interroger sur les conditions de son bon usage.
Des dangers de la confusion entre vie privée et vie au travail
Au départ, une sympathique start-up qui s’est développée grâce à une communication imaginative autour de deux idées disruptives : le slip pour homme n’est pas une simple commodité mais un produit noble, d’une part, on peut le produire en France dans des conditions économiquement supportables, d’autre part. Avec un talent marketing certain qui fait que le Slip Français est vite devenu pour la lingerie masculine ce que Michel & Augustin ont été il y a quelques années pour la biscuiterie. En s’appuyant notamment sur ses employés, incités à vanter les mérites de la société, son esprit pionnier, le plaisir d’y travailler et, par cela, à faire la promotion de la marque et donc de ses produits.
Les conséquences potentielles de cette très forte incarnation sont clairement apparues le 1er janvier dernier, après que deux de ses collaborateurs ont été identifiés dans une vidéo prise dans le cadre d’une soirée privée « Viva Africa ! » à connotation raciste. Les critiques et mises en cause auraient pu se cantonner aux salariés concernés, mais, en fait c’est au Slip Français qu’il a été demandé de rendre des comptes. Son image sympathique, ouverte et joyeuse a été très vite mise à mal par des internautes appelant au boycott de ses produits. En quelques heures, le compte Instagram « décolonisons-nous » a été vu plus de 50 000 fois. Sur Twitter la vidéo a été visionnée plus de 930 000 fois en moins de 24 heures. Le fondateur et président de l’entreprise a immédiatement réagi et pris la parole pour déplorer l’événement, dénoncer ce comportement (« ça n’est pas nos valeurs ») et annoncer la mise à pieds à titre conservatoire des deux employés. Il a précisé avoir réuni l’ensemble des collaborateurs pour rappeler « les valeurs d’ouverture » portées par sa société. Il s’est également entretenu avec le président de l’association SOS Racisme et a discuté avec lui de la participation de celle-ci à la mise en place en interne « d’un programme de sensibilisation aux problématiques du racisme et des discriminations ». Et réussi ainsi à éteindre la polémique, démontrant au passage qu’il maîtrise les fondamentaux de la communication de crise aussi bien que ceux du marketing.
Du bon usage de l’employee advocacy.
Comme on l’a vu, l’employee advocacy connaît un développement croissant depuis quelques années. Les entreprises y voient une opportunité de faire porter leurs messages par leurs collaborateurs et donc de sortir d’une logique où elles sont les seules émettrices. Une alternative notamment à la publicité en ligne jugée parfois trop intrusive. Ce n’est plus l’entreprise qui s’immisce dans la sphère numérique des internautes : ces derniers, au contraire, « suivent » des personnes dont ils estiment partager des valeurs communes.
Cette forme de communication permet d’envoyer un double signal : outre la promotion de ses services ou de ses produits, l’entreprise communique sur elle-même en démontrant que ses employés sont prêts à l’incarner jusque vis-à-vis de leurs communautés en ligne. En ce sens, on l’a relevé, elle tend à faire disparaître la frontière entre vie professionnelle et vie privée.
De plus, l’employee advocacy est un levier non négligeable pour attirer et recruter de nouveaux talents car elle donne à voir l’entreprise de l’intérieur et témoigne d’un attachement des salariés pour celle-ci.
Dell, l’une des entreprises pionnières en la matière, est parvenue à construire une réelle stratégie d’employee advocacy. Pour impliquer l’ensemble de ses collaborateurs, l’entreprise propose une formation sur l’usage des réseaux sociaux, à l’issue de laquelle ils sont certifiés « social media & community professional ». Ils sont ensuite libres de poster des contenus impliquant la marque. Ils y sont même incités par l’attribution de primes aux plus actifs et incitatifs d’entre eux. Aujourd’hui, Dell est considérée comme une entreprise attractive, avec une dizaine de prix du meilleur employeur reçus à travers le monde.
Cette communication repose à l’évidence sur un principe : l’autonomisation de la prise de parole des collaborateurs.
Pour que la pratique de l’employee advocacy se développe au sein d’une entreprise, elle ne doit pas être perçue comme coercitive par les collaborateurs. L’entreprise doit donc accepter une certaine souplesse dans la maîtrise de sa communication en ligne. Les start-ups qui sont nées du digital et s’en nourrissent pour exister sont certainement plus enclines (et sans doute plus aptes) à le faire.
Cette posture nécessite néanmoins de cadrer la pratique, car si l’on confère aux collaborateurs la possibilité de porter un message au nom de l’entreprise, ceux-ci n’ont parfois comme boussole que leur libre interprétation et leur sensibilité personnelle.
L’entreprise est ainsi soumise à une injonction paradoxale où elle doit accorder sa confiance à ses collaborateurs tout en surveillant qu’il n’est pas porté atteinte à son image de marque.
Faut-il pour autant renoncer à l’employee advocacy ? La réponse est non ! Le risque que cette pratique représente est dans le fond inhérent à l’utilisation des réseaux sociaux : on ne maîtrise pas tout ce qui est publié, par qui, dans quel contexte… mais on ne peut pour autant s’abstenir d’y être présent et d’utiliser ce vecteur désormais incontournable de communication.
La solution pour que l’employee advocacy se développe sans pour autant se retourner contre l’entreprise ne doit pas être recherchée dans le contrôle et la maîtrise mais dans la sensibilisation, la formation et la mise en place de programmes spécifiques.
Le b.a.-ba consiste à définir des principes, partagés avec l’ensemble des collaborateurs. De nombreuses entreprises se sont ainsi dotées de chartes de bonnes pratiques sur les réseaux sociaux, afin de fixer les règles du jeu. Cela ne concerne d’ailleurs pas que le volet positif de la prise de parole que constitue l’employee advocacy mais aussi les informations sur l’entreprise, son fonctionnement, ses difficultés éventuelles, voire les critiques, que peuvent divulguer les salariés. L’organisation d’ateliers d’acculturation digitale est devenue de plus en plus fréquente : ils permettent de sensibiliser encore davantage les collaborateurs et de leur faire prendre conscience du rôle qu’ils jouent dès lors qu’ils affichent sur les réseaux sociaux l’entreprise pour laquelle ils travaillent.
Au-delà de ce plan d’actions de base, l’expertise acquise en accompagnant nos clients dans ce domaine, encore nouveau mais en plein essor, montre que ce qui fonctionne le mieux, lorsque l’on veut développer l’employee advocacy, est de mettre en place des programmes spécifiques, limités dans un premier temps, sur la base du volontariat, à un certain nombre de collaborateurs désireux de s’engager dans cette voie, et des outils dédiés de partage de contenus (Socciable, Elevate, …) afin d’accompagner les collaborateurs dans leur pratique.
Concrètement, il s’agit de mettre à leur disposition des contenus de qualité, en lien avec leur activité, qu’ils choisissent ou non de relayer, commenter, etc. via leur propre compte. Parce que, contrairement à ce à quoi elle est réduite dans la plupart des cas, l’employee advocacy ne consiste pas simplement dans le fait de s’afficher comme travaillant dans l’entreprise X ou Y. Il s’agit pour les salariés d’être identifiés en tant qu’experts de tel ou tel sujet, dans tel ou tel domaine, pour in fine valoriser le savoir-faire de l’entreprise et la positionner sur des sujets stratégiques pour elle.
Ainsi, pour bénéficier le plus efficacement possible de la prise de parole « spontanée et autonome » de ses salariés, et contenir les risques qui y sont inhérents, l’entreprise doit accepter et gérer ce paradoxe qui consiste à les y préparer et à s’organiser en conséquence.