L’allocution d’Emmanuel Macron ou les risques du « en même temps »
La prise de parole du Président Emmanuel Macron le lundi 16 août, au lendemain de la victoire des Talibans en Afghanistan, a surpris. En choisissant de s’exprimer dans les JT de 20H sur un sujet de politique internationale, Emmanuel Macron a en effet rompu la longue liste des 8 allocutions consécutives prononcées sur la gestion de la crise sanitaire en 16 mois. Si le choix du sujet témoigne d’une volonté de redonner de la hauteur à la fonction présidentielle, il a conduit le Président à remettre sur le devant de la scène son fameux « en même temps », qui l’a fait gagner en 2017. A ses risques et périls…
Un 20h du Président de la République qui ne parle pas de la Covid-19 mais de l’Afghanistan
Une fois n’est pas coutume, Emmanuel Macron a choisi de s’exprimer à 20h, heures des JT des grandes chaînes de télévision, pour informer les Français d’une situation internationale nécessitant des décisions fortes de la France.
Exit la crise sanitaire et économique, place à la politique étrangère et au rôle de la France sur la scène internationale. Emmanuel Macron a déployé force pédagogie pour présenter aux Français la situation actuelle en Afghanistan – rappel historique, étapes de la coopération internationale, engagement de la France sur le territoire afghan, continuité de la politique de la France de Jacques Chirac à lui-même en passant par Nicolas Sarkozy et François Hollande, échec de la construction d’une démocratie, retour éclair des Talibans… – et ainsi préparer son auditoire aux décisions politiques prises pour faire face à la situation.
Une volonté de prendre de la hauteur….
Solennel et ferme, Emmanuel Macron s’est affirmé comme un Président soucieux de faire prendre à la France toute sa part sur la scène internationale :
En mettant en avant ses valeurs héritées des Lumières, Emmanuel Macron a d’abord justifié le rôle que doit jouer la France dans le rapatriement des afghans qui ont soutenu l’intervention occidentale et plus largement des intellectuels et artistes menacés par le nouveau pouvoir : « Notre devoir et notre dignité de protéger ceux qui nous aident », « Nous les aiderons car c’est l’honneur de la France d’être aux côtés de celles et ceux qui partagent nos valeurs ».
En défendant la nécessité de prendre des « initiatives communes » avec les pays européens et une participation de la France à l’effort international, il a ensuite positionné la France en tant qu’acteur moteur de la coopération internationale et de l’intégration européenne.
… qui n’échappe pas pour autant à la polémique
Mais en une phrase et 27 mots, tout bascule, la solidarité avec les personnes en danger fait place à la crainte d’un nouvel exode de réfugiés : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature ».
En évoquant ce sujet, avec des mots particulièrement froids et distants, Emmanuel Macron surprend et déclenche la polémique sur un thème cher à l’extrême droite et à la droite. Pendant que ses alliés conservateurs européens font preuve d’empathie et de solidarité envers la population locale – Boris Johnson promet l’accueil de 20 000 réfugiés, Angela Merkel se dit ouverte à l’accueil « contrôlé » de réfugiés – la fermeté préventive d’Emmanuel Macron passe mal, face aux images de désespoir et de chaos auquel est livrée la population civile afghane qui tournent en boucle.
Bien qu’Emmanuel Macron ait promis que la France prendrait toute sa part dans « un effort international, organisé et juste » en faveur des personnes menacées, la fermeté de son discours sur les flux migratoires prend le pas sur sa promesse humanitaire, déséquilibrant de ce fait son « en même temps ».
Tactique politique ou erreur de communication ?
Un déséquilibre qui n’a pas manqué de susciter l’indignation de nombre de politiques de gauche et de personnalités publiques, associatives et intellectuelles. On a même assisté à une sorte de surenchère entre les maires de gauche et écologistes sur leur volonté d’accueillir des réfugiés cependant que la droite n’est pas venue au secours de la volonté de fermeté du Président. Le « en même temps » humanitaire et sécuritaire n’a pas donc pas fonctionné et la polémique enflant, le Président a dû intervenir dès le lendemain pour faire le SAV de son discours sur Twitter puis devant les médias : « Ce que j’ai dit sur l’Afghanistan et que certains veulent détourner : la France fait et continuera de faire son devoir pour protéger celles et ceux qui sont les plus menacés ». Retour du balancier vers l’hémisphère gauche du « en même temps » et nouvelle preuve de son extrême sensibilité en communication.