La crise Orpéa
Samedi 29 janvier, cinq jours après la sortie du livre, l’auteur des Fossoyeurs annonçait dans un tweet triomphant un 4ème retirage de son ouvrage en 4 jours, le portant à 95 000 exemplaires. Si la couverture médiatique a baissé en fin de semaine, les hésitations de Marion Maréchal remplaçant les malheurs d’Orpéa, le cours de bourse aura perdu au total 50% de sa valeur en 5 jours. Il y a peu d’exemples d’une telle descente aux enfers.
« La vieillesse est un naufrage », disait le Général de Gaulle. Avec l’allongement de la durée de vie, la dépendance est en outre devenue un enjeu sociétal majeur, et plus que difficile tant à titre individuel que collectif ; un sujet qui nous concerne tous, fait peur à chacun d’entre nous et que la société française peine à aborder et a fortiori à régler. En témoignent les échecs successifs de la création d’une branche spécialisée de la Sécurité Sociale et de l’adoption de la grande loi promise par les deux derniers présidents de la République. Montrer la maltraitance régnant dans certains établissements, c’est appuyer sur notre mauvaise conscience personnelle et collective. D’où une crise presque sans précédent en France, et qui trouve un premier écho en Belgique, avec des inspections dans les maisons de retraite de l’opérateur.
On peut en tirer trois leçons qui s’appliquent à toutes les entreprises.
La première, c’est que les malheurs d’Orpéa s’expliquent par le fait qu’elle aurait gravement manqué à la mission qui justifie son existence : accueillir décemment et dignement les personnes âgées dépendantes. Quand on est leader européen d’un métier dont tout laisse penser qu’il est porteur d’avenir pour les groupes qui s’y investissent, a fortiori si on est coté en bourse, on ne peut pas se permettre de « mégoter » sur le nombre de couches, la qualité et la quantité de nourriture, la prise en charge médicale ou l’accompagnement de ses résidents. Les entreprises doivent mettre leurs actes en accord avec leur raison d’être, avec leurs engagements et leur communication. Beaucoup des grandes crises médiatiques subies par des groupes au cours des dernières années sont nées de la violation de cette règle d’or. Buffalo Grill qui vend de la viande contaminée par « la vache folle » et met en danger ses clients, Findus qui utilise de la viande hachée de cheval et trompe ainsi ses consommateurs, même si c’est à son insu, Ikéa qui fiche et espionne ses collaborateurs alors qu’elle s’est développée sur un concept fait d’un mélange d’ouverture, de décontraction, de simplicité et bienveillance, BP qui, peu de temps après avoir opté pour l’énergie verte et changé d’identité pour mieux illustrer ce tournant, pollue le golfe du Mexique sans sembler beaucoup s’en émouvoir, sans parler d’Arthur Andersen, le leader mondial de l’audit, qui certifie les comptes inexacts d’Enron et détruit des documents pour les soustraire à la justice, alors que sa signature doit créer une confiance absolue dans les comptes de ses clients…La liste est longue. Pour les résidences de personnes âgées, il y a au moins un précédent de crise de ce type, celui de Korian, qui avait entraîné une baisse du cours de bourse, bien moindre que pour Orpéa : c’était à propos d’une épidémie de grippe, un autre sujet difficile qui met en cause, non seulement l’entreprise mais aussi ses salariés qui refusent de se faire vacciner, les familles qui ne respectent pas les précautions sanitaires, voire les résidents eux-mêmes. Ces spécificités, plus une communication pertinente, expliquent largement que la crise n’ait pas eu de conséquences durables.
La seconde, c’est que les malheurs d’Orpéa ont justement été accentués par une stratégie de communication inadaptée aux enjeux, compte-tenu de la gravité des accusations. En réagissant tardivement le 24 janvier, ce qui a laissé le temps à la mèche allumée par Mediapart et amplifiée par Le Monde de se consumer, dans un communiqué pour contester les accusations qualifiée de « mensongères, outrageantes et préjudiciables », avant deux jours plus tard de mandater « deux cabinets de premier plan » pour mener une évaluation indépendante sur les allégations portées à son encontre, Orpéa a commencé le chemin de croix du feuilleton de la crise médiatique : la dénégation puis la tentative de détourner l’attention et de gagner du temps par des enquêtes indépendantes. Avant d’annoncer le départ de son directeur général dimanche soir. Il aurait sans doute fallu commencer par cela, et demander immédiatement une enquête de l’inspection des affaires sociales pour prendre l’initiative et bénéficier du crédit de la transparence.
La troisième, c’est que personne, en dehors du management d’Orpéa, n’a semblé douter des accusations du livre et a fortiori aucune personne n’est intervenue en faveur d’Orpéa. Bien plus, tous les témoignages recueillis par les médias (anciens responsables d’établissement, proches des résidents puis salariés d’Orpéa) ont été à charge. Même les pairs n’ont pas hésité à tirer sur l’ambulance : dans le Journal du Dimanche du 30 janvier, Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), rajoute une couche en affirmant « aller chercher de l’argent en bourse n’est pas une infraction. Mais la dépendance n’est pas un business comme les autres ». Cela souligne l’importance pour les entreprises de se faire connaître de manière approfondie par les médias avant toute crise, mais aussi par l’ensemble de leurs parties prenantes et de se constituer progressivement un réseau d’ambassadeurs qu’elles pourront mobiliser en période de crise. Ce qui suppose une action déterminée dans la durée et ne peut sûrement pas s’improviser lorsque survient la crise.