La communication du gouvernement sur la réforme des retraites
« Je veux convaincre les Français » a répété à plusieurs reprises Elisabeth Borne lors de son interview sur France Inter le samedi 14 janvier. L’examen du projet de réforme des retraites par l’Assemblée nationale commence le 31 janvier. Il reste donc 15 jours au gouvernement pour expliquer à nos concitoyens pourquoi il est indispensable de reculer l’âge de départ à soixante-quatre ans. Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance, a d’ailleurs souligné de son côté lors d’une conférence de presse l’urgence « de la conquête de l’opinion ». S’agissant d’une mesure qui figurait dans le programme pour l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron, comment a-t-on pu arriver à une telle situation ? Retour sur la communication du gouvernement depuis juin dernier sur un sujet hautement inflammable.
Un sujet d’autant plus sensible qu’en 2017 et jusqu’au gel en mars 2020 pour cause d’épidémie de Covid puis à l’abandon définitif du précédent projet, le Président de la République avait toujours soutenu qu’il n’y avait pas besoin de retarder l’âge de la retraite. Ce changement à 180° méritait donc un effort particulier de pédagogie, à un moment où les repères des Français sur la notion d’efforts et a fortiori de sacrifices ont été plus que perturbés par le « quoiqu’il en coûte » sanitaire puis énergétique. Or de pédagogie à l’attention de l’opinion publique, il n’y a pas eu jusqu’à très récemment.
Le gouvernement s’est d’abord fourvoyé tout l’été dans un débat sur la possibilité d’agir très vite en recourant à un amendement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif qui devait être débattu au Parlement lors de la session d’automne. L’avantage de cette procédure ? Pas de consultation préalable formelle obligatoire, limitation des possibilités d’obstruction parlementaire par application de l’article 47-1 de la constitution qui fixe à vingt jours à l’Assemblée nationale et à quinze jours au Sénat la durée maximale des débats. Sans parler de la possibilité de recourir à l’article 49-3 autant de fois que nécessaire sans que cela obère le quota annuel du gouvernement pour les textes ordinaires. L’argument pour justifier une telle procédure à la hussarde ? La mesure figurait dans le programme du Président, en l’élisant les Français ont par avance approuvé la réforme.
Les réactions ont été suffisamment fortes, y compris au sein de la majorité relative, pour que l’exécutif renonce et engage une longue et très structurée concertation avec les organisations syndicales et les groupes parlementaires. Dans son interview, Elisabeth Borne a souligné les points positifs apportés par ces discussions tant avec les représentants des salariés qu’avec ceux des élus. Initialement prévue en décembre, la présentation du projet a été retardée au 10 janvier, officiellement pour permettre à la Première ministre de poursuivre la concertation. Ce trimestre aurait pu, aurait dû être utilisé pour, parallèlement à la concertation institutionnelle, expliquer aux Français pourquoi la réforme est indispensable. Ce qui n’a pas été fait. Tout à ses discussions avec les organisations syndicales et les forces politiques, l’exécutif a « oublié » de parler aux Français, non pas du détail des mesures soumis à la concertation, mais de leur fondement. Il n’y a pas eu de grand débat national ou de réunions citoyennes ni même d’émissions télévisées théâtralisées sur le sujet, contrairement à ce qui avait été fait en 2003 et en 2010.
Peut-être aurait-il fallu pour cela que le gouvernement soit lui-même au clair sur les fondements de la réforme. Or il a oscillé durant plusieurs mois entre deux explications différentes. A plusieurs reprises, le Président de la République, notamment lors de son intervention du 14 juillet 2022, a mis en avant la nécessité de financer le très grand âge et la dépendance. Dans le même temps, Bruno Le Maire parlait de sauver la retraite par répartition menacée par la détérioration du ratio retraités/ actifs en raison de l’allongement de la durée de vie. La solidarité collective dans un cas, la sauvegarde individuelle des pensions dans l’autre. Ces divergences répétées au plus haut niveau ont à l’évidence nui à la compréhension des intentions du gouvernement et donc à la crédibilité de la réforme. Depuis le 10 janvier, le sujet paraît tranché. Emmanuel Macron a déclaré que le projet était « indispensable et vital pour préserver le système » et Elisabeth a ajouté sur France Inter « c’est l’avenir de l’un des cœurs de notre modèle social qui est en jeu ». Un argument sans aucun doute plus efficace pour faire accepter à chacun les efforts demandés.
Il ne faudrait pourtant pas conclure du rappel de ce lancement quelque peu chaotique que le gouvernement va échouer dans son ambition réformatrice. En sécurisant un accord avec Les Républicains qui devrait lui permettre de faire voter le projet sans recours au 49.3, la Première ministre a sans doute sauvé sa réforme. En témoigne le sondage publié par le Journal du Dimanche le 15 janvier : si 68 % des Français ne sont pas favorables au texte, ils sont exactement la même proportion à penser qu’il sera voté et appliqué.