La communication du Gouvernement face au malaise de la Police ou comment le malaise de la Police a créé un malaise au sein du Gouvernement
La mort tragique de Nahel, les émeutes qui s’en sont suivies partout en France ont mis en lumière un malaise profond au sein de la police française. Si le sujet n’est pas totalement nouveau, il semble avoir pris une toute autre dimension au cours des dernières semaines… devenant une crise politique difficilement maîtrisée.
Du fait divers à la crise politique
L’affaire remonte à la nuit du 1er au 2 juillet 2023, 5ème nuit d’émeutes en protestation contre la mort de Nahel, jeune adolescent tué lors d’un contrôle routier en région parisienne. 45 000 membres des forces de sécurité intérieures sont mobilisées partout en France pour essayer de contenir les violences urbaines qui se déchaînent dans toutes les grandes villes de France. À Marseille les choses prennent une tournure particulière : quatre agents de Police – accusés par un jeune homme de 21 ans, Hedi, de l’avoir tabassé et gravement blessé sans raison – sont mis en examen, et l’un d’eux est placé en détention provisoire.
Aussitôt, le syndicat Unité SGP-Police appelle les agents des forces de l’ordre à se mettre en arrêt maladie ou en « code 562 », c’est-à-dire, à ne remplir que leurs missions dites « essentielles ».
Malgré la pression policière la justice ne cède pas. La chambre d’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette la demande de remise en liberté du policier de la brigade anticriminalité (BAC) accusé d’avoir grièvement blessé Hedi. Pour l’heure, le policier se trouve toujours en détention provisoire, au moins jusqu’à son prochain interrogatoire, prévu le 30 août.
La police ressent à nouveau un sentiment d’abandon et un manque de reconnaissance du gouvernement. C’est une crise de confiance qui dure et ne cesse de s’accentuer. Mais, au-delà du malaise, cette affaire vient remettre sur le devant de la scène, le fossé qui semble se creuser entre police et la justice et pose la question de l’une par rapport à l’autre, un débat qui revient périodiquement sur le devant de la scène médiatique et politique.
Face à la grogne montante, le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux prend la parole et déclare le 23 juillet dernier dans les pages du Parisien : « De façon générale, je considère qu’avant un éventuel procès un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail ». Dans la foulée, Laurent Nunez, préfet de police de Paris, affiche son soutien au DGPN dont il « partage les propos ».
Mais ces déclarations s’avèrent insuffisantes pour calmer le mécontentement des policiers. Pire, elles mettent le gouvernement dans une posture particulièrement inconfortable car l’affaire prend une tournure politique difficile à maîtriser.
La réponse ambigüe du Gouvernement face à la crise
On ne saurait imaginer qu’une telle déclaration a été faite par le DGPN sans l’avoir fait valider par sa hiérarchie… en l’occurrence Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Pourtant, il semble que celui-ci n’en ait pas anticipé les conséquences.
Dans un premier temps, malgré le tollé déclenché dans l’opinion publique et la classe politique, le ministre de l’Intérieur n’a pas réagi aux propos du directeur général de la police nationale. Un silence qui a alimenté de nombreuses spéculations sur l’accord qu’il aurait – ou non – donné aux propos tenus dans cette interview.
Mais en laissant entendre que la Police fait exception lors d’une intervention tardive, le 27 juillet, Gerald Darmanin semble accepter une justice à deux vitesses, l’idée d’un Etat dans l’Etat, et place l’exécutif dans une position délicate.
Dans l’intervalle, l’Elysée avait choisi la voie du célèbre « en même temps ». Interrogé à ce sujet le 24 juillet, depuis Nouméa en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron n’a pas souhaité réagir : « je ne voudrais pas qu’on se trompe de débat ». Si le Président admet qu’« il faut entendre l’émotion des policiers qui se sont sentis confrontés à une violence extrême », il insiste sur le fait que « nul en République n’est au-dessus de la loi ».
Les options du Président étaient minces : s’inscrire en faux face à cette déclaration, aurait conduit à désavouer le DGPN et à renforcer le sentiment d’abandon des forces de l’ordre, avec le risque certain de faire monter la colère parmi celles-ci. La valider, aurait été perçu comme une tentative d’entrave à l’indépendance de la justice et à la séparation des pouvoirs : inconcevable pour un président.
Pour autant, la solution retenue ne semble pas être la bonne. Car face à une telle ambiguïté de communication, les critiques ne manquent pas de fuser et d’entretenir le débat sur les réseaux sociaux.
Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, fustige sur France Inter les propos tenus par Emmanuel Macron : selon lui le chef de l’Etat aurait dû « rappeler les règles et faire preuve d’autorité ». Même réaction du côté de la France Insoumise : « Aucune sanction, même verbale. Les abus sont encouragés. Consternant. » a tweeté Jean-Luc Mélenchon.
Plus significatif, même certains syndicats de police s’interrogent : « Je ne comprends pas la position de l’institution et du gouvernement. On est dans un état de droit. Une justice d’exception à l’endroit des policiers, ce n’est pas entendable, pas acceptable. Ce serait grave dans une démocratie », pour Anthony Caillé secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police
Si au sein même de la police, des voix s’élèvent, cela en dit long sur la réalité de la crise. Gérald Darmanin a promis une concertation à la rentrée pour trouver des solutions … reste à espérer que l’été ait fait d’ici-là son travail d’apaisement.
Domitille Lecasble Directrice Conseil |
Hélène Milesi Consultante confirmée
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