La communication des entreprises face au défi du Coronavirus
Trois mois et demi après la mise en œuvre du confinement sur l’ensemble du territoire, le temps est venu de se demander comment la communication des entreprises s’est adaptée à cette crise inattendue et sans précédent et d’essayer d’en tirer les conséquences pour leur stratégie dans les mois et années à venir. L’analyse de leurs prises de parole montre que si elles ont été, comme tout le monde, prises de court, elles ont progressivement défini et investi de nouveaux territoires de communication et que, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le monde d’après ne devrait pas être la simple réplique du monde d’avant. Mais pour arriver à ce constat, il faut rappeler les quatre phases qui ont marqué la communication des entreprises au cours de cette période exceptionnelle.
Une réaction faible et à bas bruit
17 mars, 12h00. La France se barricade et avec elle, les entreprises françaises, contraintes d’adopter des mesures inédites pour protéger leurs salariés et clients, et ainsi participer à l’effort national décrété par le Président de la République, pour ralentir la progression du coronavirus sur le territoire.
En même temps que la fermeture des bars, restaurants et autres commerces « non essentiels », se sont succédé les annonces de fermeture d’usines et de sites de production par le biais de communiqués de presse, souvent très concis, témoignant surtout d’un manque de visibilité sur les perspectives des semaines à venir. L’effet de sidération joue à plein.
L’exercice s’est révélé particulièrement délicat pour les entreprises dont l’activité était plus directement impactée par la crise sanitaire. La communication s’est alors souvent faite au fil de l’eau et des mesures prises pour éviter une mise à l’arrêt dont les effets potentiellement désastreux étaient largement redoutés. Dès le 13 mars, Accor avait informé ses clients, via ses réseaux sociaux, de l’adoption d’une politique d’annulation ou de modification des réservations plus flexible. C’est seulement au début du mois d’avril, lors d’une conférence de presse téléphonique, que le PDG, Sébastien Bazin, a annoncé la fermeture de plus de deux tiers des hôtels du groupe.
Peu d’entreprises se sont distinguées pendant cette période initiale. On peut néanmoins citer Burger King qui a décidé d’emblée de cesser toute activité dans ses restaurants en France. Dans une tribune publiée sur LinkedIn, Jérôme Tafani, son Directeur général, a appelé ses clients et salariés “à rester chez eux”. Mais difficile de ne pas y voir une communication essentiellement opportuniste lorsque l’on sait que son principal concurrent McDonald’s était dans le même temps accusé d’avoir mis en danger ses employés, en laissant ouverts douze restaurants. Et il est intéressant de noter qu’en mai, Burger King a rouvert à Paris plus rapidement que Mac Donald’s….chat échaudé….
Une affirmation de solidarité pour exister
Dans un second temps, dès début avril, les entreprises ont repris la main pour se mettre au service de la collectivité. Avec une activité souvent réduite pendant la période de confinement et sans opportunité pour communiquer, les entreprises ont choisi de mettre en avant leur responsabilité sociétale et d’affirmer leur solidarité notamment avec les professions du « front » et des activités de première nécessité.
Alors que certaines ont privilégié leur écosystème direct, à l’instar de Danone qui s’est engagé à verser à tous ses salariés une prime d’urgence alimentaire et a mis en place un dispositif de soutien pour aider ses prestataires de service à passer ce cap difficile, d’autres se sont tournées vers des actions de solidarité, bien souvent en lien avec la santé. Bic a lancé un coffret en édition limitée d’un stylo 4 Couleurs pour l’AP-HP, Playmobil a créé un masque dont les bénéfices ont été reversés aux Restos du cœur et de nombreuses entreprises se sont mises à fabriquer gel hydroalcoolique, masques et blouses pour les soignants mais aussi pour tous ceux qui assuraient la continuité de l’approvisionnement et des services de base.
Et lorsque leurs activités ne leur permettaient pas de se mettre directement au service de la collectivité, les entreprises ont rivalisé d’inventivité. C’est le cas par exemple d’Orange qui a lancé un site participatif #OnResteEnsemble afin de récolter les témoignages de solidarité pour ensuite les diffuser dans des spots publicitaires en soutien aux personnes âgées. De même, JCDecaux a utilisé ses panneaux publicitaires pour promouvoir les gestes barrière et remercier les soignants, tandis que G7 proposait de transporter les soignants dans des conditions préférentielles.
Une reprise d’activité préparée et mieux gérée
Dans un troisième temps, les entreprises ont dû gérer la sortie du confinement et ses nombreux défis, notamment en matière de communication interne. Un dialogue ouvert, continu et de confiance avec ses salariés est alors nécessaire pour réussir à susciter leur adhésion. C’est la voie choisie par Alstom qui a préparé un “référentiel sanitaire” avec les partenaires sociaux “pour définir les spécificités de l’application des recommandations des autorités pour nos activités, pour rappeler évidemment le respect des gestes barrières, et voir poste par poste comment revoir l’organisation du travail”.
Mais toutes les entreprises n’ont pas bénéficié d’un tel consensus. Pour celles à l’intérieur desquelles le dialogue n’est pas aussi ouvert, la réouverture et le déconfinement n’ont pas été aussi faciles. Renault en a fait les frais dans son usine de Sandouville : un conflit avec la CGT a mené à une situation où se sont succédé critiques des syndicats, décisions de justice, prise de position du gouvernement et de multiples commentaires médiatiques.
D’autres entreprises ont vu une opportunité de communication externe et ont mis en avant les mesures complémentaires prises pour assurer la santé de leurs collaborateurs. Dans le cadre de son plan de déconfinement, outre la désinfection des locaux, la fourniture de masques et la prise de température des salariés, Veolia a ainsi mis en place des tests virologiques et sérologiques généralisés pour l’ensemble de ses 55 000 salariés en France. Elle a présenté l’ensemble de ces mesures par la voix de son PDG sur Europe 1, sans manquer de souligner la bonne réception du plan par l’interne et son approbation par les syndicats.
Une place à prendre ou à perdre
La gestion du retour à la consommation a marqué un nouveau tournant. Faisant partie des entreprises les plus impactées par la crise, les entreprises du secteur du commerce ont été les premières à adapter leur communication. Si certaines avaient réussi à garder un lien avec le consommateur, à coup de publicités liées au confinement vécu par tous les Français, elles ne posaient alors simplement que les premières bases d’une communication externe qui allait devoir se réinventer bien plus fortement.
A l’approche de la réouverture des commerces, les enseignes ont d’abord tenté, par la voix de porte-parole dans les médias, de rassurer les consommateurs en énumérant l’ensemble des dispositifs mis en place pour protéger la santé et la sécurité de leurs clients. Ce ton rassurant s’est également matérialisé dans les campagnes publicitaires des marques de plus en plus nombreuses soulignant et expliquant les mesures prises pour empêcher la contamination. Certaines allaient même jusqu’à interpeller le consommateur, pour mieux le rassurer. Ainsi, Jules rappelait que, même si les distanciations physiques préconisées ne sont pas toujours naturelles pour chacun d’entre nous, leur respect permet une protection de tous. Ce besoin de sécurité reste certes important pour les consommateurs dans la période actuelle et continuera sans aucun doute d’être un thème de campagnes publicitaires dans un futur proche, alors que la menace d’une deuxième vague est de plus en plus évoquée, mais il ne peut constituer la pierre angulaire de la communication des marques dans le futur.
La communication post-crise doit en effet tirer plus largement les leçons de cette période. Tout d’abord en répondant aux nouveaux besoins des consommateurs, tels que ceux de solidarité ou d’entraide, mais aussi en s’adaptant à certaines évolutions de la société largement catalysées par la crise. Et de nouvelles campagnes sur le “monde d’après” commencent à émerger, comme “Demain, on a le choix” de la Caisse d’Epargne qui porte l’idée selon laquelle les entreprises doivent aujourd’hui être utiles à la société pour construire un monde durable. Et rejoignent ainsi les débats ouverts au cours des dernières années sur la mission et la raison d’être des entreprises.
Alors que celles-ci ont été prises au dépourvu par la crise sanitaire, elles doivent maintenant se réinventer pour se positionner comme acteurs de ce nouveau monde. Plus dur sera l’avenir pour celles qui ne sauront pas ou ne voudront pas prendre ce virage.