Incidents du Stade de France : un bon exemple de communication de crise ratée
Gestion aléatoire des flux d’entrée, agressions aux abords du stade, heurts avec les forces de l’ordre…la finale de la Ligue des champions, qui a opposé, le 28 mai dernier, Liverpool au Real Madrid au Stade de France a viré au cauchemar, occasionnant une crise dont le ministre de l’Intérieur a peiné à se sortir, en pleine campagne des législatives et à deux ans des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, et de la Coupe du Monde de rugby qui a lieu l’an prochain. En cause ? Des dysfonctionnements manifestes en matière d’organisation de l’accès au stade et de maintien de l’ordre public mais aussi une communication de crise inadaptée. Quels enseignements dans ce dernier domaine peut-on tirer de cette mauvaise séquence ?
En mettant en cause, dès le samedi 28 mai par le biais d’un tweet, puis au JT de TF1 du lundi 30 mai, la présence de « 30 000 à 40 000 supporteurs de Liverpool soit sans billet, soit avec des billets falsifiés », le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a tenté de se sortir de la crise en faisant porter aux supporteurs de Liverpool la responsabilité du chaos qui a entouré la finale de la Ligue des champions. Ce faisant, il a commis au moins 4 erreurs majeures en matière de communication de crise.
La dénégation totale : une stratégie périlleuse
La première, c’est d’avoir choisi une stratégie de communication fondée exclusivement sur la dénégation. Or, cette stratégie, qui consiste, lors d’une crise, à nier sa responsabilité et à rejeter l’accusation sur d’autres parties prenantes, est particulièrement périlleuse. A l’heure des réseaux sociaux, des chaînes d’information en continu et de la transparence généralisée, elle suppose, plus que jamais, de n’avoir rien à se reprocher car elle expose celui qui l’emploie à des révélations ultérieures…ce qui n’a pas manqué d’arriver !
L’adoption d’une stratégie de communication fondée sur la multiplicité des causes, qui aurait consisté, pour le ministre de l’Intérieur, à reconnaître la part de responsabilité des forces de l’ordre tout en élargissant le cercle des responsables (l’UEFA, le stade de France, les supporteurs de Liverpool, la RATP, les grévistes de la ligne B du RER ….), aurait été plus crédible et se serait révélée in fine plus payante car nul ne peut douter qu’un tel échec dans l’organisation d’un évènement de ce type ne peut relever du seul ministère de l’Intérieur.
Une réponse trop rapide
La deuxième erreur commise par le ministre de l’Intérieur, c’est d’avoir confondu réactivité et précipitation en désignant de manière quasi immédiate la fraude massive aux faux billets comme la source principale des heurts survenus lors de la finale de la Ligue des champions.
Or, il est rare qu’un seul et unique facteur soit à l’origine d’une crise de cette ampleur. Une communication minimale fondée sur la prudence et la transparence, se bornant à lister les facteurs potentiels des difficultés et qui aurait conduit, par exemple, le ministre à demander une enquête administrative pour faire la lumière sur les failles du dispositif, aurait été, dans un premier temps, plus adaptée. Plus avisée a été la ministre des Sports, en demandant rapidement au délégué interministériels aux grands évènements sportifs, Michel Cadot, de lui remettre un rapport « synthétisant les principaux faits intervenus et les enseignements à en tirer pour la gestion des grands événements sportifs ».
Une exposition trop directe à la crise
En se mettant en scène au PC Sécurité du Stade de France par le biais d’un tweet publié le soir du match, Gérald Darmanin a incarné d’emblée et personnellement la gestion de cette crise. Or, lors d’une crise, il est généralement conseillé de ne pas s’exposer trop rapidement afin de se laisser des marges de manœuvre. Si le préfet de police avait été le premier porte-parole, le ministre de l’Intérieur aurait sans doute bénéficié de précieux moments de réflexion pour examiner les failles du dispositif et ainsi mieux préparer sa stratégie de communication.
Un manque d’empathie
L’une des règles fondamentales de la communication de crise, c’est de faire preuve d’empathie à l’égard des victimes. En l’espèce, les vidéos et témoignages de supporters de Liverpool venus en famille qui ont été promptement repoussés par les forces de l’ordre, agressés par des délinquants aux abords de stade ou qui n’ont pas pu assister au match alors qu’ils étaient de munis de billets en bonne et due forme ont d’autant plus choqué l’opinion publique que le ministre de l’Intérieur n’a prononcé aucun mot d’excuse à leur égard ni avant ni pendant son intervention au JT de TF1. Le Président de la République ne s’y est pas trompé et lui a d’ailleurs, si l’on en croit les analyses publiées dans la presse, demandé de faire amende honorable pour désamorcer la colère des Anglais et des Espagnols…ce qu’il a accepté de faire, mais à bas bruit, lors de son audition au Sénat le lendemain !
Si les dysfonctionnements opérationnels qui sont la cause de cette crise seront examinés par le rapport Cadot, l’exécutif doit également tirer de cette séquence ratée les enseignements nécessaires pour sa communication de crise et éviter ainsi que l’image de la France soit, en cas de crise, écornée devant le monde entier notamment lors de la Coupe du Monde de rugby puis des Jeux Olympiques et Paralympiques qui se tiendront dans les deux prochaines années.