Carlos Tavares ou la fragilité de l’image des dirigeants
Mai 2024, Stellantis publie pour la troisième année consécutive des résultats exceptionnels. Avec une marge opérationnelle à deux chiffres, comparable à celle de BMW ou Mercedes, un groupe généraliste fait aussi bien que les marques de haut de gamme. Carlos Tavares est à la une de tous les médias et enchaîne les interviews laudateurs. Cinq mois plus tard, l’annonce de son départ en 2026, à l’heure où s’ouvre le Mondial de l’Auto de Paris, fait grand bruit, sur fond de climat de crise pour l’ensemble du secteur. Retour sur les causes de ce retournement qui illustre la fragilité de l’image des dirigeants.
En provenance du concurrent historique Renault, Carlos Tavares arrive à la tête de PSA en 2014 et sauve le groupe de la banqueroute. En 2017, il rachète Opel à General Motors et redresse en un an les comptes d’une entreprise perpétuellement en perte depuis son acquisition par le géant américain. En 2021, il réussit la fusion avec Fiat Chrysler Automobiles et le succès est immédiat : bénéfices records de 16 milliards d’euros dès 2022 puis 18 milliards en 2023. Du jamais vu dans une industrie automobile qui a subi de plein fouet la crise de la Covid et les nombreux retards de commandes qui ont suivi. La stratégie du dirigeant portugais basée sur une chasse aux coûts permanente porte ses fruits et conforte les actionnaires du groupe aux désormais 242 000 salariés dans le monde. Porté par ses très bons résultats, Tavares n’hésite pas à assumer cette rigueur poussée à l’extrême dans sa communication, allant jusqu’à se qualifier de “psychopathe de la performance”.
Mais cette aura exceptionnelle va se dissiper dès 2024 en trois temps.
Un rappel massif de voitures par Citroën conduit à s’interroger sur la qualité des produits du groupe, la presse commence à se faire l’écho de ce que disent de plus en plus souvent les clients. Commercialement, la stratégie de Carlos Tavares, réduire les coûts et augmenter les prix, fait chuter les ventes une fois disparues les pénuries liées à la Covid, spécialement aux Etats-Unis où le groupe souffre du vieillissement de ses modèles.
Parallèlement à la publication des résultats de 2023, la médiatisation de son salaire déclenche une très vive polémique dans l’hexagone : le grand patron, qualifié de “Mbappé de l’automobile” par l’ancien Président du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux, mérite-t-il ses plus de 36 millions de revenus (hors bonus) ? Non, avait déjà répondu Emmanuel Macron qui avait jugé « choquante et excessive » la rémunération du dirigeant de Stellantis (19 millions en 2021 et 23 millions en 2022) pendant la campagne présidentielle.
« C’est une dimension contractuelle entre l’entreprise et moi. Comme pour un joueur de foot ou un pilote de formule 1, il y a un contrat » se défend l’intéressé, en prenant à témoin l’opinion publique. “Si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi et je la respecterai » conclut-il. Une communication lapidaire, froide et sans émotion. Le style Tavares, définitivement, qui assume et provoque.
Toutefois, cette stratégie de communication fonctionne tant que la performance est au rendez-vous. L’annonce du retour à une marge ordinaire du secteur automobile pour 2024 fait dévisser le groupe en bourse et nécessite une réaction. Connu pour une certaine brutalité managériale, il n’hésite pas à sacrifier son comité de direction. Cela n’empêchera pas son Conseil d’administration d’acter son prochain départ à la retraite.
Après avoir totalement transformé son groupe et été porté au pinacle, Carlos Tavares risque de quitter son poste avec une image très sensiblement écornée. L’accent mis en permanence sur les résultats, sans suffisamment investir la dimension sociétale et sociale, et une exposition médiatique très forte au cours des dernières années ont parfaitement fonctionné tant que les résultats ont été en progression. Leur brutale chute a tout aussi brutalement renversé la perception et brisé l’image.
Bien qu’il ait eu une approche et une communication très différentes de celles de Carlos Tavares, Emmanuel Faber, alors président du groupe Danone, en avait fait l’amère expérience. Les PDG surmédiatisés sont paradoxalement fragilisés en période de baisse des résultats.
On en tirera donc deux conclusions en termes de communication. Les grands patrons doivent résister à la tentation de la surmédiatisation de leur réussite, car la chute en cas de renversement de tendance peut être sans appel. Et leur communication, pour maîtrisée et parcimonieuse qu’elle soit, doit s’adapter à l’ensemble des dimensions de l’entreprise, sans en oublier aucune.
Eric Giuily
Président de CLAI
Eliot Granveau & Jacques Smith
Consultants senior