Arrêt de C8 : l’ARCOM, une autorité de régulation contestée
La mise en œuvre fin février de la décision de l’ARCOM du 12 décembre dernier de ne pas renouveler l’attribution d’une fréquence sur la TNT à deux chaines a été l’occasion d’une polémique virulente. Si le sort de NRJ12 n’a guère ému, ce qui est peu étonnant eu égard à son niveau d’audience, il en a été tout autrement de celui de C8. Ce que l’on appelle de plus en plus fréquemment la Bollosphère (CNews Europe 1 et le JDD notamment) s’est déchaînée contre cette « atteinte à la liberté d’expression ». L’enjeu essentiel de la sentence de l’ARCOM était le sort de l’émission phare de la chaîne, « Touche pas à mon poste » de Cyril Hanouna, qui s’adresse à un public populaire et jeune. Pascal Praud, l’animateur vedette de CNews et d’autres ont relayé l’idée que cette « censure » témoignait au mieux d’une coupure entre l’ARCOM, émanation des élites technocratiques parisiennes, et …le peuple français et au pire d’un mépris de classe. Une campagne reprise par un certain nombre de politiques, dont la ministre de la Culture, en charge du secteur de la communication et comme telle gardienne de l’autorité de l’ARCOM. Loin de faire la pédagogie de la décision de l’Autorité, elle s’est bornée à dire qu’elle la regrettait pour les téléspectateurs de C8.
A l’heure de la « vérité augmentée » et d’une concurrence accrue par la multiplication des canaux de diffusion, l’ARCOM s’efforce d’affirmer sa mission de protection du pluralisme et de l’indépendance de l’information. En février 2024, une décision du Conseil d’État a d’ailleurs renforcé ce rôle, en l’enjoignant de garantir la diversité d’opinions, y compris parmi les chroniqueurs et animateurs des différentes chaînes. Face à la diversité des publics, à l’évolution rapide de la société, des actualités, et à la radicalisation des opinions, l’ARCOM se trouve confrontée aujourd’hui à un défi majeur pour assurer sa mission, sans être perçue pour autant comme un acteur de censure.
Une décision incontestable en droit.
Aux Etats-Unis, comme l’ont rappelé avec force le Vice-Président JD Vance et Elon Musk, la liberté de parole est quasiment totale : on peut tout dire ou affirmer. Il appartient à ceux qui ne sont pas d’accord de le faire savoir. Et les réseaux sociaux leur en donnent très largement la possibilité. En France, si la liberté d’expression a valeur constitutionnelle, elle s’exerce dans le respect des lois de la République. L’ARCOM est chargée d’y veiller pour ce qui concerne la communication audiovisuelle et numérique. Elle impose à ce titre des obligations diverses notamment aux chaînes de télévision.
Au cours des dernières années, C8 a été condamnée par l’ARCOM à 37 reprises, dont 16 fois en 2024, l’année du renouvellement des fréquences. Aucune de ces condamnations n’a été annulée par le Conseil d’Etat qui a d’ailleurs rejeté son recours contre la décision du 12 décembre. Certes C8 a payé les amendes qui lui ont été infligées, comme le font valoir ses défenseurs. Mais une autorité de régulation peut-elle accepter de voir ses décisions ainsi bafouées systématiquement ? Que serait-il restée de l’autorité de l’ARCOM à l’égard de l’ensemble des chaînes, si elle avait renouvelé la fréquence de C8 alors que celle-ci proposait de maintenir dans ses programmes l’émission de Cyril Hanouna inchangée ? A l’évidence, l’ARCOM ne pouvait prendre une autre décision et avait le droit – et même le devoir- de le faire.
Un régulateur sous pression
Si la décision du 12 décembre 2024 est incontestable en droit, il n’en reste pas moins que la campagne des défenseurs de C8 a porté ses fruits. Une large partie de l’opinion ne l’a pas comprise. « Le peuple contre le droit, en somme », écrivait Camille Broyelle, professeure de droit à l’Université Paris-Panthéon-Assas.
Dans un monde où l’émotion l’emporte sur la raison, où l’affirmation a plus de valeur que le fait, le nouveau Président de l’ARCOM, Martin Ajdari, comme tous les responsables d’autorité de régulation mais plus que la plupart d’entre eux en raison du domaine qui est celui de l’ARCOM, est confronté au défi de faire comprendre des décisions fondées sur l’application des règles de droit en vigueur, par le public le plus large. Il doit donc adapter la communication de son Autorité pour la rendre plus accessible, tout en évitant de tomber dans un discours politique ou polémique. On peut regretter que son prédécesseur ait attendu les derniers jours de son mandat, qui coïncidait avec l’entrée en vigueur de la décision du 12 décembre, pour multiplier les interviews. Une telle situation aurait mérité une pédagogie plus longue, avant que l’émotion ne l’emporte sur la raison. Pour faire entendre sa voix, l’ARCOM devra à l’avenir s’adresser de façon différente, plus directe dans la durée aux Français. Elle doit reconstruire son propre récit pour mieux se connecter au grand public.
Eric Giuily, Président de CLAI
Lucie Lelong, Directrice de clientèle
Alice Pillod, Consultante confirmée