Influence en ligne : réguler pour créer l’adhésion ?
L’influence, action progressive et non brutale, vise principalement à modifier les opinions, les convictions, les habitudes. Influencer, c’est également tenter de prendre le contrôle d’un narratif ou d’un agenda plutôt que de les subir. Multiplication des prises de parole sur les réseaux sociaux, prédominance globale des médias pure player, l’importance de l’influence en ligne a conduit le législateur à intervenir pour essayer de réguler sa pratique.
En France, l’influence numérique est désormais encadrée – limitée diraient certains – par la loi du 9 juin 2023 « pour une utilisation plus sécurisée des réseaux sociaux ». Celle-ci impose un certain nombre de contraintes aux influenceurs qui poussent leurs communautés à consommer des produits et des services. Cette loi représente une avancée dans la protection des utilisateurs car les dérives ne sont pas des cas isolés, « près d’un contenu d’influenceur sur cinq ne répondrait pas aux critères de transparence » soulignait en effet l’Autorité de régulation de la publicité dans un étude publiée en juin 2023. L’enquête ouverte contre l’agence d’influenceurs de Magali Berdah, Shauna Events, pour « escroquerie en bande organisée » en est un exemple fortement médiatisé.
Au niveau européen, un nouveau règlement sur les services numériques, le « Digital Service Act » (DSA), entrera en application en février 2024 : il responsabilise les plateformes de contenus vis-à-vis des problématiques de haine en ligne, de harcèlement, mais aussi de manipulation et de désinformation. Avec selon le commissaire Thierry Breton, un mot d’ordre : « ce qui est interdit dans le monde « physique » doit l’être également dans la vie numérique ».
De pousser à la consommation à orienter les opinions politiques
Car un autre versant de l’influence en ligne existe, autrement plus inquiétant. Le cas du conflit qui déchire l’Ukraine depuis février 2022 a permis par exemple de mettre en lumière des médias, des journalistes et des relais d’opinion qui défendaient les intérêts russes sous couvert de pluralité de l’information. Les médias RT et Sputnik, déjà qualifiés « d’organes d’influence et de propagande mensongère » par Emmanuel Macron en 2017, ont ainsi été suspendus le 2 mars 2022, à la suite d’un vote du Conseil de l’UE. Cette mesure, visant des médias partisans et omniprésents sur les réseaux sociaux, traduit l’existence de cas extrêmes. Il s’agit en effet d’une influence maîtrisée et redoutable qui a pour objectif de jouer un rôle dans l’issue de ce conflit en retournant l’opinion publique occidentale contre le soutien de leurs gouvernements à l’Ukraine.
Plus récemment, le commissaire européen Thierry Breton a mis en garde Elon Musk, le propriétaire de X (anciennement Twitter), contre des contenus illégaux liés à la guerre entre Israël et le Hamas. Conformément au DSA, l’UE par la voix de M. Breton menace de sanctionner le réseau social pour non-respect de ses obligations en matière de modération des contenus. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de protéger les utilisateurs européens de contenus potentiellement violents, voire traumatisants, que différents acteurs diffusent dans une logique de propagande par le choc et la peur.
Une influence vertueuse est possible
L’influence en ligne ne peut cependant pas se résumer à des pratiques commerciales trompeuses ou à des opérations de propagande politique. Elle est aussi le moyen, pour une marque, pour une entreprise ou pour une communauté d’exister. Les objectifs sont différents : créer la confiance, instaurer un dialogue, écarter les doutes qui freinent ou nuisent à leur réputation. Pour cela, il convient d’utiliser tous les leviers de l’influence : animer des comptes réseaux sociaux, développer des sites internet, publier des études, tribunes, et autres livres blancs pour relayer les travaux et prises de positions d’une organisation. Le tout en appliquant des règles fondamentales de transparence, en respectant les lois en vigueur et plus généralement en cultivant la confiance des utilisateurs.
Pour se différencier dans un contexte de standardisation des pratiques de communication, les organisations ont tout intérêt à développer leur « thought leadership », c’est-à-dire leur capacité à apparaître, souvent par la voix de leur(s) dirigeant(s), comme un expert ou un leader d’opinion de leur secteur d’activité et d’être identifié comme tel. C’est aujourd’hui un des premiers leviers à activer pour une stratégie de communication réussie. Celle-ci doit allier présence médiatique constante en ligne et dans les médias traditionnels, prise de position sur les sujets du moment et monitoring de l’impact.
L’influence ne peut faire l’économie de la transparence. C’est d’ailleurs la tâche que s’est donné l’Observatoire de l’Influence responsable, qui publie chaque année l’état des lieux de cette évolution. En se conformant à la législation, voire en devançant l’action du législateur, l’influence en ligne doit cultiver des vertus qui conditionnent sa crédibilité et son efficacité à long terme : clarté (des objectifs), respect (des utilisateurs) et sérieux (des propos).
Eric Giuily
Raphaël Caors
Thibault Lecauchois.