Réforme de la haute fonction publique : la stratégie de communication payante du Président Macron
Réputée irréformable, la haute fonction publique a pourtant beaucoup évolué depuis 2017…sans que personne ne trouve à y redire. Comment le Président de la République a-t-il réussi à imposer sa vision de la haute fonction publique sans susciter d’opposition majeure ? Décryptage d’une stratégie de communication opportuniste, menée à bas bruit et sur le long terme qui est en train de se révéler payante… quoi que l’on pense sur le fond de cette transformation !
Alors qu’en 2018, la volonté de nommer consul général à Los Angeles Philippe Besson, écrivain et proche du Président, avait provoqué une levée de boucliers au Quai d’Orsay, les nominations récentes au cours de l’été du chef d’entreprise, Thibault Lanxade, de la militante et essayiste, Lydia Guirous, ou du directeur des hôpitaux universitaires de Strasbourg, Michaël Galy, à des postes de préfet n’ont suscité quasiment aucune critique ! Le secret de cette réussite : une stratégie de communication fondée sur trois piliers, déclinée patiemment et avec persévérance depuis 2017.
L’addition de petites évolutions plutôt qu’une révolution
Premier pilier de la stratégie de communication du Président : le saucissonnage de la réforme en de multiples petites mesures. Plutôt que d’annoncer d’emblée une grande réforme de la haute fonction publique, qui aurait été inflammable, le Président a en effet choisi de communiquer successivement sur des réformes plus techniques et moins spectaculaires, ce qui a permis d’éviter de cristalliser toutes les oppositions au même moment. Remplacement de l’ENA par l’INSP, réforme de l’accès aux « grands corps », instauration de modalités de rémunérations inspirées du secteur privé, féminisation des emplois de direction, nominations de quelques personnalités issues du privé à des postes autrefois réservés à des hauts fonctionnaires de carrière… le Président a procédé par petites touches successives, créant des « effets de cliquet », qui changent et changeront durablement et en profondeur la haute fonction publique.
La bataille culturelle avant la réforme
Deuxième pilier : attendre d’avoir remporté des victoires sur le front de la bataille culturelle avant d’engager des réformes. Reprenons l’exemple de personnalités issues du privé et nommées à des postes de préfet évoqué ci-dessus. Il y a quelques années, de multiples voix se seraient élevées pour dénoncer l’importation d’un « spoil system » à l’américaine, qui est contraire au système de carrière de la haute fonction publique française. Mais aujourd’hui ces nominations ne choquent plus personne car plusieurs évolutions ont modifié les perceptions de l’opinion, la rendant plus favorable à ce type d’évolution. L’élection en 2017 de députés novices en politique et issus de la société civile a ainsi battu en brèche l’idée selon laquelle il fallait, pour entrer à l’Assemblée nationale, avoir fait ses classes au sein d’un parti pendant plusieurs années et appris le « métier » de responsable politique sur le terrain. De même, l’idée que les individus connaîtront, à l’avenir, plusieurs métiers au cours de leur vie est de plus en plus intégrée par les actifs et se traduit d’ailleurs, depuis la crise de la Covid, par une augmentation considérable des reconversions professionnelles (+35,8% en 2022 contre 26,2% en 2016, selon l’observatoire des trajectoires professionnelles). Le Président a su surfer habilement sur ces tendances pour commencer à mettre en œuvre le « spoil system » qu’il préconisait depuis 2017.
La rhétorique de l’élite bashing
« Je veux une haute fonction publique, à l’image de la société, qui épouse davantage ses pulsations, saisit ses demandes, incarne l’esprit du temps » : le Président n’a également pas hésité à saupoudrer ses prises de parole d’une forme modérée « d’élite bashing », notamment après la crise des gilets jaune pour justifier la suppression de l’ENA, une rhétorique classique de la communication politique. Là encore, le Président, en lecteur avisé de Machiavel, a su saisir la bonne opportunité pour pousser son avantage…quitte à mettre en cause une élite dont il est lui-même le pur produit !
Découpage des réformes en de multiples petites mesures, bataille culturelle, rhétorique anti-élite, pour saisir au mieux la bonne opportunité…le Président nous aura prouvé qu’il savait aussi utiliser la communication dans le temps long et éviter les petites phrases provocantes pour mieux atteindre ses objectifs. Un constat à méditer à l’heure des « punch lines » et des annonces à répétition.
Sara Ouafir & Eric Giuily