Face aux crises à répétition, mobiliser sans inquiéter, la difficile équation de la communication gouvernementale
Après deux ans de crise sanitaire, alors qu’une nouvelle vague de la covid est attendue pour l’automne, qu’une autre épidémie se développe, que la guerre en Ukraine et son cortège de déstabilisations économiques s’enracinent, s’est abattue cet été sur la France une véritable catastrophe climatique. Trois épisodes de canicule accablants, une sécheresse historique et des incendies en cascade : rien n’est épargné à des populations qui font front avec calme et dignité. A Tours, la Loire se traverse presque à pied, en Gironde, les gymnases ne désemplissent pas de familles évacuées, et dans plus d’une centaine de communes, l’eau potable ne coule plus aux robinets.
L’été n’est pas encore terminé, mais depuis plusieurs mois déjà, le Gouvernement s’attèle au périlleux exercice de préparer les esprits à affronter des tensions dans l’approvisionnement énergétique l’hiver prochain. Voire à faire face à une vraie pénurie. Avec une séquence remarquée sur le thème de la sobriété, qui s’impose désormais dans les débats. Pour la première fois, les Français pourraient manquer significativement et durablement de gaz ou d’électricité. Cela dans un contexte où ils sont déjà fortement fragilisées par cette succession de crises presque ininterrompue et restent, malgré toutes les aides publiques , inquiets pour leur pouvoir d’achat.
Si le concept de crise se définit par une rupture dans l’ordre habituel des choses, il semblerait que nous vivions aujourd’hui le paradoxe, l’oxymore, de la “crise permanente”. La communication du gouvernement doit s’adapter à ce monde nouveau où événements et catastrophes s’enchaînent et se renouvellent sans fin. Elle doit pour cela relever un quadruple défi.
Tout d’abord, faire comprendre aux citoyens que les menaces sont réelles et les difficultés inévitables. Dans un pays développé faisant partie des sept premières puissances mondiales, il est difficile d’admettre que notre modèle comporte de telles vulnérabilités, et surtout qu’elles n’ont pas été suffisamment anticipées. Faire la pédagogie de la situation et de son urgence pour éviter de se perdre dans un débat sans fin et inutile sur les responsabilités respectives des uns et des autres ou l’évolution de la globalisation et du système capitaliste. Circonscrire le débat à la lutte contre la pénurie et ne pas le laisser déraper. Les images en boucle des différents effets des crises en cours devraient l’y aider mais il faudra sans aucun doute argumenter face aux « complotistes » en tout genre qui ne manqueront pas de justifier l’incivisme par les théories les plus abracadabrantesques sur les réseaux sociaux.
Ensuite, l’enjeu sera de convaincre les Français de la nécessité des faire les efforts requis. Un des facteurs clés de succès sera de développer le sentiment qu’elles sont non seulement indispensables, mais aussi et surtout justes et équitablement réparties : rien de plus dissuasif que la perception que certaines parties de la société échappent à la contrainte qui s’impose à la majorité. Propriétaires de jets privés ou de terrains de golf impeccables, conducteurs de jet skis, pour ne prendre que des exemples symboliques récents largement relevés et commentés sur les réseaux sociaux au cours des dernières semaines. Le compte Instagram @laviondebernard, pistant les déplacements du jet privé du patron du groupe de luxe LVMH, compte d’ores et déjà plus de 70 000 abonnés et a fait largement le buzz ! Dès alors, les injonctions du Gouvernement à éteindre la lumière ou éviter les pièces jointes dans les emails semblent dérisoires. L’exemplarité sera donc clé.
Mais il faut également que les mesures annoncées soient perçues comme efficaces et adaptées. Ainsi, il est souhaitable et même indispensable que le gouvernement évite de prendre lui-même, sous la pression de l’urgence, des décisions qui vont à l’encontre de l’objectif de sobriété, comme c’est le cas de la réduction accordée à tous les automobilistes sur le prix de l’essence et du gasoil. Si le principe d’une aide aux plus démunis est incontestable, le système retenu favorise la consommation de tous, quels que soient la cylindrée de la voiture et les moyens de son propriétaire, y compris les frontaliers et les touristes étrangers qui traversent la France pour se rendre en Espagne ou en Italie. Après avoir testé et vacciné gratuitement nos voisins, nous subventionnons leurs transports. Autant de bonnes raisons de ne pas croire en l’efficacité des mesures et donc de ne pas se plier à la discipline qu’elles imposent.
Enfin, l’Etat devra lutter contre le fatalisme en évitant d’attiser les peurs et ainsi, éviter le risque de déclencher ce que l’on appelle désormais l’éco-anxiété, ou solastalgie, définie par le philosophe australien Glenn Albrecht comme un sentiment de détresse psychologique liée aux changements environnementaux. Elle se répand peu à peu et pourrait avoir comme conséquence néfaste de conduire les populations touchées à l’abandon et à l’immobilisme.
Un exemples récent montre que c’est possible. Alors que la Californie connaît un épisode de sécheresse extrême, la mise en place de mesures d’économie d’eau dans la ville de Los Angeles s’est soldée par un étonnant succès : la consommation des habitants de la ville a chuté de 9% en juin dernier, et de 11% pour le mois de juillet. Résultat obtenu grâce à une campagne de communication qui a justement effacé la notion de « restriction » au profit de celle de « préservation de l’espace ». La mobilisation pour une cause positive plutôt que la contrainte par la peur ou l’angoisse.
Pour faire évoluer les comportements individuels et collectifs avec la rapidité qu’impose la situation, le gouvernement devra doser le recours entre ces trois leviers que sont la prescription par la réglementation et son inévitable corollaire la répression, la dramatisation face à la montée des périls et la conviction par la pédagogie. Un réglage fin dont personne n’a la formule magique.