Elections législatives : troisième tour ou conséquences systémiques du second ?
Le premier tour des élections présidentielles a marqué la consécration du tripartisme, les trois principaux candidats – soutenus par LREM, RN et LFI – s’étant très largement détachés et n’ayant laissé que peu de place aux neuf autres et donc d’espoirs pour les législatives de juin. Pour aborder celles-ci, les trois partis dominants ont choisi des stratégies opposées qui se traduisent par des communications très différentes. Si Jean-Luc Mélenchon s’est beaucoup dépensé pour imposer l’idée d’un troisième tour qui lui permettrait d’imposer au Président nouvellement réélu une cohabitation et sa nomination comme Premier ministre, Emmanuel Macron et, de manière plus surprenante, Marine Le Pen semblent croire à l’effet systémique et mécanique du second tour qui conduirait à donner au premier une majorité substantielle. D’où des entrées en campagne très contrastées.
Les législatives, 3e tour de l’élection présidentielle ? L’espoir de Jean-Luc Mélenchon
Dès le soir du premier tour, le candidat de LFI a proclamé son intention de faire des élections législatives un véritable troisième tour. Dans l’entre-deux-tours, il s’est directement adressé aux Français en les appelant à l’« élire Premier ministre, en élisant une majorité d’Insoumis » dans le cadre du « troisième tour » de l’élection. Par cette intervention sur BFMTV[1], le candidat malheureux à l’élection présidentielle entendait désacraliser le second tour de celle-ci auquel il ne participait pas et crédibiliser sa volonté d’un nouvel équilibre institutionnel. Un petit bulletin de vote pour un grand pas vers la VIème République.
Dès le soir du second tour, pour donner corps à cette ambition et répondre aux attentes d’une large partie du « peuple de gauche », Jean-Luc Mélenchon, contrairement à ce qu’il avait fait en 2017, a lancé un appel à l’Union. Une alliance qui a donné lieu à d’âpres négociations qui ont été autant d’occasions de communication. Chaque séance de discussion, chaque nouvel accord a donné lieu à une séquence dans les médias et à de multiples prises de parole des représentants de ses différentes composantes. Les journalistes ne faisaient pas le pied de grue devant l’Elysée pour attendre la nomination du prochain Premier ministre…. Mais devant le siège du parti des Insoumis, à l’affût de la fumée blanche ! Un suspens qui a permis au bloc de gauche d’occuper le terrain médiatique et d’éclipser avec succès les autres partis. Point culminant de la communication : un congrès d’investiture le 7 mai dernier à Aubervilliers, renvoyant l’image d’une gauche unie grâce à de belles images relayées sur les réseaux sociaux, dans les JT et sur les chaînes d’information. Une première depuis la gauche plurielle de 1997 ! La Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, la NUPES, était ainsi portée sur les fronts baptismaux.
Les législatives, conséquences systémiques du second tour ? La conviction d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen.
Emmanuel Macron est resté fidèle à la tradition historique et compte manifestement sur la dynamique qui lui a fait remporter les élections présidentielles pour gagner les élections législatives. Comme cela a été le cas après les quatre premiers scrutins depuis l’instauration du quinquennat mais aussi en 1981 et 1988 après les dissolutions prononcées par François Mitterrand ou en 1962 après le référendum gagné haut-la-main par le Général de Gaulle. Ainsi, le Président réélu n’en a pas dit un mot le soir de sa victoire. Chaque chose en son temps. Et dans un premier temps, priorité a été clairement donnée aux investitures et, à travers elles, à la recomposition du pôle qui le soutient.
Après d’âpres négociations, moins bien médiatisées que celles des gauches unies, LREM a également réussi à créer son propre bloc avec Ensemble ! qui va réunir sous une même bannière LREM, le MoDem, Horizons, et quelques micro-partis issus de la gauche et des écologistes avec une ambition proclamée : « continuer à élargir le mouvement politique ».[2] En même temps, LREM annonçait fort discrètement et presque par inadvertance son intention de changer de nom et de prendre celui du groupe parlementaire européen, Renaissance. Rien qui puisse créer un souffle nouveau et apporter la dynamique que n’a pas suscité l’élection présidentielle. Il s’agit simplement d’organiser les conséquences de l’effet systémique.
De son côté, Marine Le Pen a, dans un premier temps le 22 avril 2022, fixé un cap clair : « remporter la grande bataille des législatives » en capitalisant sur un score inédit pour l’extrême droite en France de 13 millions et demi d’électeurs.[3] Mais dès le lendemain, la stratégie et la communication ont changé : la candidate malheureuse est ostensiblement partie en vacances pour 15 jours et n’a pas hésité à son retour à affirmer qu’Emmanuel Macron aurait une majorité aux législatives[4], confirmant les propos tenus auparavant par le Président par intérim du parti, Jordan Bardella. Bien plus, tous deux ont proclamé à l’unisson que, dans ce contexte, leur objectif était seulement d’avoir quinze députés pour constituer un groupe parlementaire. La stratégie de l’humilité et du réalisme qui a si bien réussie à la candidate lors des présidentielles et un objectif qui pourrait permettre de crier victoire au soir du second tour des législative. Parallèlement, le Rassemblement national a refusé toute alliance avec Reconquête, confirmant ainsi qu’il ne se battait pas pour la victoire en juin 2022 et avait intériorisé celle du Président.
Au vu des premiers sondages, la conviction d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen semble avoir plus de chances de se concrétiser que l’espoir de Jean-Luc Mélenchon. Mais en jouant à plein sur l’effet systémique, le Président favorise l’abstention et pourrait se retrouver à la tête d’une majorité sans mandat clair des électeurs, avec le risque que le troisième tour, à défaut d’avoir eu lieu dans les urnes, se déroule dans la rue.
[1] https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/legislatives-2022-jean-luc-melenchon-demande-aux-francais-de-l-elire-premier-ministre_AV-202204190594.html
[2] Législatives : LREM devient « Renaissance » et se rapproche du Modem et d’Horizons avec « Ensemble ! » | Public Senat
[3] https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/elections-legislatives-comment-marine-le-pen-et-le-rassemblement-national-se-mettent-en-ordre-de-bataille_5103730.html
[4] Elections législatives : Marine Le Pen revient dans l’arène politique à pas prudents (lemonde.fr)