Activisme sociétal : choix ou devoir des entreprises ?
Prononcé pour la première fois à l’Assemblée nationale en février 2021[1], le terme « woke » duquel est dérivé l’ensemble de « Woke culture » s’est incrusté dans les débats sur l’enseignement français, amplifié sans doute par les prises de position virulentes du Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Jean-Michel Blanquer, jusqu’à décrocher sa place parmi les mots ayant marqué l’année 2021.
Pourtant, le wokisme n’est pas nouveau : son origine se situerait dans l’immédiat après-guerre de Sécession aux Etats-Unis au 19ème siècle, et décrit un état « d’éveil » (du verbe wake, réveiller, en anglais) contre l’injustice raciale qui déchirait le pays. Et depuis la naissance du mouvement politique Black Lives Matter (BLM) outre-Atlantique en 2013, le terme « woke » connaît un regain d’intérêt mondialisé par les réseaux sociaux.
Depuis 2013, le terme « woke » est utilisé plus largement dans le débat politique français par certains pour dénoncer les inégalités de genre, d’origine ethnique ou religieuse. Il a trouvé un écho très fort au sein de la génération Z : d’après un sondage Harris Interactive réalisé pour l’Institut du Dialogue Civil et publié le 18 septembre 2021[2], 80% des moins de 35 ans souhaitent une meilleure prise en compte de l’identité sexuelle et de l’origine des personnes dans la communication des marques.
Une première réponse aux attentes des jeunes consommateurs aux effets inégaux
Aux Etats-Unis, où le mouvement a trouvé ses racines, de nombreuses entreprises ont compris l’intérêt vital de répondre aux attentes des jeunes générations en intégrant le « social activism » dans leur communication. Parfois avec succès, comme la marque Nike et sa collaboration en 2018 avec le footballeur américain Colin Kaepernic (symbole du mouvement BLM) qui a fait décoller les ventes de la marque de près de 31% malgré les critiques de Donald Trump. Mais, comme tout mouvement sociétal, le « social activism » des marques comporte un revers : pour peu que la marque soit soupçonnée de tirer profit de la lutte pour les droits sociaux, ou que son message soit rédigé avec ambigüité, les consommateurs dénonceront le « Woke Washing », dans la même lignée que le « Green Washing ». Une expérience vécue par des marques pourtant solidement ancrée auprès de la génération Z, comme Disney ou Apple.
Si Nike a d’elle-même choisi de se positionner politiquement en réaction au mouvement BLM, ce sont parfois les consommateurs qui exigent des changements auprès des marques : en juin 2020, la filiale Uncle Ben’s du groupe Mars Inc s’est retrouvée au cœur des critiques durant les manifestations BLM, accusée de véhiculer un stéréotype racial à travers son logo. Quelques mois plus tard, l’entreprise annonçait une nouvelle identité en résumant « Nous avons écouté. Nous avons appris. Nous changeons ». Ce changement de nom pour Ben’s Original s’est également accompagné d’engagements emblématiques de la part de l’entreprise en faveur de la diversité, comme la création du fonds « Seat at the Table », permettant aux minorités de bénéficier de bourses d’études dans les sciences de l’alimentation.
En France, une démarche encore timide et parfois maladroite des marques
En France, les choses semblent bouger plus lentement : par exemple si Banania a été condamnée par la justice à renoncer à son slogan « Y-a-bon Banania », elle a été beaucoup moins loin que Ben’s dans la transformation de son image de marque. C’est toute l’identité visuelle et le nom même de la marque qui pourraient être accusés de véhiculer des stéréotypes ethniques.
A l’inverse, de grandes marques françaises ont pour leur part fait les frais d’une communication sans doute pétrie de bonne volonté, mais maladroite : L’Oréal a dû faire face à un appel au boycott après l’annonce du groupe en 2020 de sa décision d’arrêter d’utiliser certains mots tels que « blanc » et « blanchissant ». Puis en 2021, le créateur Louboutin a dû s’expliquer après la confusion créée par une image postée sur Facebook par Assa Traoré, la sœur d’un jeune décédé lors de son arrestation par les forces de l’ordre, le poing levé et les escarpins éponymes aux pieds.
Se réinventer : une stratégie payante pour contrer d’éventuelles crises d’image
Les marques doivent en France faire face à un double enjeu de communication et de positionnement : comment trouver des arguments marketing convaincants pour justifier leur « social activism » auprès de la génération Z, tout en maintenant un lien fort avec la génération des plus de 50 ans, qui sont seulement 29% à estimer la lutte pour la justice sociale comme un critère d’adhésion aux valeurs d’une marque ?
La loi Pacte leur offre désormais un début de solution : la définition d’une raison d’être, pour porter, incarner et défendre leurs engagements sociaux et environnementaux. Ces engagements, gravés dans la durée, doivent ainsi se détacher des ondulations politiques et positionner la marque comme un référent sur un enjeu fort. Concrétisés par des mesures concrètes, ces engagements doivent permettre de mobiliser à la fois les salariés, les partenaires et les clients autour d’initiatives impactantes sur le long terme. Et doter les entreprises d’une image forte de nature à favoriser leur développement et à les aider à résister à d’éventuelles crises.
[1] Proposition de résolution nº 3828 invitant le Gouvernement à remettre un rapport au Parlement sur la radicalisation dans l’enseignement supérieur, 03/02/2021.
[2] https://harris-interactive.fr/opinion_polls/rapport-harris-la-france-est-elle-woke/