De la fermeture de Fessenheim à la construction de nouveaux EPR : les raisons d’un revirement.
En 2011, François Hollande était sorti vainqueur de la primaire socialiste en reprenant la proposition de son adversaire Martine Aubry de réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique français (pour atteindre 50 % contre 74 %), avec une promesse emblématique : la « fermeture progressive de vingt-quatre réacteurs » d’ici à 2025, dont l’arrêt immédiat de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin).
Cette promesse intervient quelques mois seulement après le grave accident de Fukushima (Japon), et ce alors même que les installations de la centrale alsacienne ont été jugées « satisfaisantes » par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Elle est en fait une des clés de voûte de l’alliance entre le Parti Socialiste et Europe-Ecologie-Les Verts pour aborder puis gagner l’élection présidentielle, et semble amorcer le déclin de l’énergie nucléaire en France.
L’arrêt définitif de la centrale, plusieurs fois repoussé, a finalement eu lieu en 2020, soit plus de trois ans après la fin du mandat de François Hollande. Si Emmanuel Macron avait lui aussi promis en 2017 de mettre en application la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, son discours est aujourd’hui plus nuancé et remet en cause la perspective d’un abandon progressif du nucléaire.
Il y a deux semaines, à l’occasion de la présentation du plan « France 2030 », le président de la République annonçait ainsi un investissement à hauteur d’un milliard d’euros pour « développer des technologies de rupture » et notamment des « petits réacteurs nucléaires ». Une position indirectement renforcée quelques jours plus tard par le rapport « Futurs énergétiques 2050 » rédigé par RTE : celui-ci met notamment en avant la difficulté de se passer du nucléaire pour atteindre les objectifs de neutralité carbone tout en soulignant son intérêt du point de vue économique, même s’il ne va pas jusqu’à envisager de scénario allant au-delà de l’objectif de 50 % fixé par François Hollande. Et le gouvernement prépare manifestement depuis plusieurs semaines l’opinion à l’annonce de la mise en chantier prochaine d’une douzaine d’EPR de deuxième génération.
Une évolution dans les priorités de l’exécutif qui correspond à un changement de perception de l’opinion publique à l’égard du nucléaire. Déjà en mai 2021, une étude réalisée par BVA montrait que 50 % des Français considéraient cette source d’énergie comme un atout pour l’Hexagone. Seuls 15 % estimaient qu’il constituait un handicap alors qu’ils étaient 34 % en 2019. Selon une étude plus récente, réalisée par l’Ifop en septembre 2021, les Français souhaitent très majoritairement (88 %) maintenir les capacités du parc nucléaire tandis que l’énergie éolienne est majoritairement perçue (67 %) comme inefficace en termes de réduction de notre empreinte carbone. Ce basculement rapide de l’opinion s’explique par la conjonction de trois facteurs.
De fait, le monde de 2021 ne ressemble plus vraiment à celui de 2011 : la priorité est désormais donnée à la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur tout autre objectif en matière d’environnement et de sécurité. L’émoi suscité par la catastrophe de Fukushima s’éloigne et se fait moins pressant au sein de l’opinion. La prise de conscience concernant la nécessité de décarboner l’économie s’est accélérée, en particulier grâce à l’Accord de Paris et aux engagements pris par les Etats dans ce domaine. Or le nucléaire est avec l’hydraulique la forme d’énergie la plus décarbonée.
L’Allemagne, qui était prise en exemple en 2011 pour avoir annoncé sa sortie totale du nucléaire civil d’ici 2022, est aujourd’hui pointée du doigt pour son recours massif aux centrales à charbon, extrêmement polluantes, ou à gaz pour compenser la fermeture progressive de ces centrales nucléaires. Et ses émissions de CO2 par KWh sont près de dix fois supérieures à celles de la France.
Le deuxième facteur est lié à l’hostilité croissante des populations concernées envers l’implantation d’éoliennes, que ce soit sur terre ou en mer, en raison de leurs différentes nuisances notamment en termes de pollution sonore et visuelle et de leurs conséquences sur la faune et la pêche. Au fur et à mesure que se développent les champs d’éoliennes se réduit leur acceptabilité locale et s’accroît le fossé entre la France des métropoles favorable aux énergies renouvelables et la France de la ruralité qui y voit une marque d’abandon et de mépris la part du pouvoir central. Le Président de la République s’est inquiété à plusieurs reprises publiquement, notamment à l’occasion d’un sommet international à Pau en janvier 2020, de cette montée des oppositions de terrain.
Enfin, la crise des gilets jaunes puis de la Covid 19 ont souligné la nécessité de réindustrialiser la France et ses territoires les plus oubliés comme de réduire son extrême dépendance vis-à-vis de l’étranger dans des secteurs majeurs. Au-delà des enjeux écologiques, le nucléaire devient un atout économique, à l’heure où le gouvernement, par la voix de Bruno Le Maire et d’Agnès Pannier-Runacher, affirme sa volonté de s’appuyer sur des filières d’excellence, confortant l’indépendance nationale.
Ce faisant, Emmanuel Macron marche dans les pas du général de Gaulle, qui déclarait en 1967 : « Nous faisons du nucléaire une base pour un développement industriel, un développement nouveau de l’énergie. » Un demi-siècle plus tard, le nucléaire fait de nouveau office de base pour le redéveloppement industriel de la France et pour sa production énergétique. A une nuance près toutefois en 2021 : sa combinaison avec les énergies renouvelables dans le mix électrique. Pour l’énergie aussi, Emmanuel Macron fait le choix du « en même temps » à quelques mois de l’élection présidentielle.