Déploiement de la 5G en France : haro sur le haut-débat
C’est officiel : mercredi 18 novembre 2020, l’ARCEP a accordé l’autorisation aux opérateurs téléphoniques d’activer les quelques 500 antennes 5G d’ores et déjà en place dans neuf villes tests. Mais les commentateurs de rappeler que le lancement effectif de cette technologie sur l’ensemble du territoire n’aura pas lieu avant 2021, et pourrait demander encore davantage de temps dans les communes signataires de la demande de moratoire sur la 5G. Car si l’accord des élus n’est pas nécessaire aux opérateurs pour déployer le nouveau réseau – l’État reste unique décisionnaire – ces derniers ont pourtant annoncé « privilégier la discussion et l’information plutôt que le passage en force ». Une inclination pour la pédagogie qui détonne au sein d’un débat aussi clivant qu’a pu l’être, et le sera encore certainement, celui sur la 5G.
Rappelons qu’Emmanuel Macron, très favorable au déploiement de la 5G en France, déclarait le 14 septembre dernier devant les acteurs de la French Tech ne pas croire au « modèle amish », en réaction à la demande de moratoire formulée par les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat, suivis par près de 70 élus de gauche ou écologistes. En choisissant une telle formule, le Président, tournant au ridicule les opposants à la 5G, a coupé court à tout débat sur les conséquences potentielles de la technologie en question. Mais cela n’est pas sans fragiliser par la même occasion l’image d’un Président vert et ouvert au débat qu’il tente de reconstruire depuis plusieurs mois.
Il y a un an, la crise des « gilets jaunes » conduisait Emmanuel Macron à « redonner la parole aux Français sur l’élaboration des politiques publiques qui les concernent », y compris sur le thème de la transition écologique. Du grand débat national naquit la Convention Citoyenne pour le Climat marquant la volonté du Gouvernement d’associer les Français aux questions environnementales dont le moratoire a constitué une des 149 propositions en faveur de l’écologie
Au printemps dernier, les élections municipales dont le résultat a été qualifié par beaucoup de « déferlante verte » ont également constitué un signal fort pour l’ensemble de la classe politique, confirmant par les urnes la place prépondérante donnée à la transition écologique parmi les préoccupations des Français. Ainsi, ils seraient « 56% à préférer « un pays qui va faire le choix d’un autre modèle de développement avec comme objectif la préservation des ressources naturelles », plutôt qu’une priorité donnée à plus de croissance et à la création d’emplois » (Ifop, juin 2020).
Une inflexion que n’a pas manqué de prendre en compte l’exécutif : le 3 septembre dernier, le Premier ministre Jean Castex promettait une relance « verte, sociale et territoriale », dont les investissements dans la transition écologique constituent un des trois axes structurants. Plus récemment, le Gouvernement annonçait des mesures en faveur du bien-être animal, attendues et saluées par les ONG et associations.
Pourtant, cette « offensive verte » semble peiner à convaincre les Français alors que 54% déclarent douter de la sincérité d’Emmanuel Macron sur les questions environnementales (Yougov, juin 2020). Une crédibilité sans doute déjà fragilisée dès le début de son quinquennat par le départ de Nicolas Hulot, puis par différents revirements du Gouvernement, le dernier en date étant la réintroduction des néonicotinoïdes… S’ajoute à cela l’utilisation fréquente de « formules choc » par l’exécutif, dont « le modèle amish », mais aussi « les ayatollahs de l’écologie » – autant d’éléments instillant le doute quant à la sincérité du discours.
Car en communication politique le mot est un signe au carré : au-delà du sens communément admis auquel il renvoie, il est, en plus, « un signal politique, envoyé à l’opinion public ou à l’électorat cible pour lui parler, non de la chose, mais de l’orateur lui-même, de son attitude, de sa crédibilité, de ses propres valeurs, de ce qu’il incarne et donc promet aux électeurs » (C. Alduy, 2017). Et sur la 5G, Emmanuel Macron choisit avec ironie d’opposer partisans du progrès et écologistes réfractaires. Il coupe ainsi court au débat en reléguant au minimum 150 citoyens et 70 élus au statut d’idéologues archaïques espérant « le retour de la lampe à huile » – affichant une déconsidération de ses adversaires. En témoigne le retournement opéré par l’ONG « Les amis de la terre », qui s’est appropriée la formule en se rebaptisant ponctuellement « Les Amish de la terre », « en réaction au mépris de Macron ». Un discours surprenant de la part du Président « de la pensée complexe », adepte du « en même temps ».
Alors que la majorité des partis politiques se sont positionnés sur le déploiement de la 5G, chacun selon son propre prisme – les verts en fustigent les conséquences écologiques (renouvellement des équipements, émissions carbone dues au stockage des données, …), la France Insoumise critique l’absence de débat public et le Parti Communiste Français insiste quant à lui sur la nécessité de placer cette technologie sous contrôle de l’État – Emmanuel Macron et son gouvernement ont adopté un discours définitivement technophile et tourné vers une logique économique.
Le débat citoyen n’en est pas pour autant clos – en témoigne le collectif de 7 000 requérants qui a saisi jeudi 18 novembre le Conseil d’Etat pour faire annuler l’attribution des fréquences 5G. Une première offensive qui sera renforcée par l’assignation devant le juge judiciaire des opérateurs concernés dès lors que le collectif aura atteint les 7 500 citoyens. S’installe ainsi une controverse qui, après celles sur le nucléaire et l’éolien, les OGM ou les pesticides, témoigne de l’incapacité de notre société à aboutir à des consensus raisonnés sur les évolutions technologiques… En attendant le débat passionné que nous promet l’arrivée prochaine du vaccin anti-Covid 19 !