La communication de Jean Castex, entre nécessité politique et risques de l’omniprésence
Partout. Jean Castex est partout depuis sa nomination le 3 juillet dernier. Partout géographiquement, en visite dans un centre d’apprentissage de Besançon (23 juillet), un quartier en proie à l’insécurité à Nice (25 juillet), une maison d’accueil de femmes victimes de violences (30 juillet), à la plate-forme du Samu social de Paris (2 août), au CHU de Montpellier (11 août), à Orly (14 août), en Haute-Garonne (18 août), bientôt à la rentrée du MEDEF, etc. Partout, et sur tous les sujets : la lutte contre le trafic de drogue, la réorganisation des hôpitaux, l’hommage à la Résistance (Daniel Cordier) et aux Français tués au Niger, la relance de l’économie, l’emploi des jeunes, la transition écologique, les bienfaits des colonies apprenantes etc. Accompagné des ministres compétents priés de rester silencieux sous leur masque.
Celui qui était quasi-inconnu du grand public il y a un mois et demi a depuis été immanquable, lors de déplacements d’abord destinés à souligner les priorités de l’action gouvernementale ou le soutien à des professions en crise, puis progressivement à appeler à un renforcement de la mobilisation contre la pandémie. Le nouveau Premier ministre a ouvertement cherché à imposer sa présence et faire la pédagogie de son approche de l’action gouvernementale. Il s’est dessiné une posture faite de calme, d’assurance, de fermeté, d’écoute, accent méridional à l’appui. Objectif atteint mais cela ne garantit pas pour autant une rentrée calme et maîtrisée.
L’omniprésence du Premier ministre crédibilise la nouvelle stratégie du Président
À court terme, Jean Castex a fait ce qu’il fallait : il a donné à voir à l’opinion un nouveau gouvernement, qui ne s’accorde ni repos ni répit à l’orée d’une crise économique historique et alors que la pandémie semble reprendre. Le pire pour son image – et pour celle du Président – aurait été que l’exécutif paraisse absent ou paralysé en cette période marquée par l’incertitude sur la gravité de la crise économique et l’inquiétude sur le retour de la pandémie.
Au contraire, son omniprésence médiatique donne au Premier ministre la possibilité d’incarner le tournant politique voulu par le Président. Et ce, en dépit d’une continuité politique que sa composition trahit et d’un pic de popularité atteint par son prédécesseur, Édouard Philippe (la « personnalité politique préférée des Français » du moment, selon Ipsos). L’omniprésence de Jean Castex sert ainsi la stratégie d’Emmanuel Macron : tirer le maximum des « 600 jours » restants d’ici à la prochaine élection présidentielle. Elle permet d’enchaîner les annonces comme autant de signe de la détermination du Gouvernement. Le budget national est mobilisé par milliards pour secourir l’industrie automobile, les hôpitaux endettés, les vignerons, la recherche publique, etc. Cet « état de grâce budgétaire » bénéficie au nouveau Premier ministre, globalement épargné pour ses débuts par la critique alors que l’opposition demeure relativement silencieuse face à des mesures sectorielles qu’il lui est difficile de critiquer à quelques mois de nouvelles échéances électorales.
Pendant ce temps, le Président reste actif mais se permet d’être plus sélectif dans ses prises de parole, et son gouvernement a le champ libre pour travailler à la suite… Or, c’est précisément pour la suite que les inquiétudes sont permises, et que la stratégie de communication dépendant de l’omniprésence de Jean Castex peut trouver ses limites.
Les risques de la communication par l’omniprésence du Premier ministre
La suite arrive dès septembre. Une fois tous les plans de relance dévoilés – même en temps de crise, les finances publiques ont leurs contraintes – la communication du gouvernement ne pourra plus se reposer sur les effets d’annonce et l’omniprésence du Premier ministre. Face à la multiplication des mauvaises nouvelles, plans sociaux dans les entreprises de toute taille et vraisemblablement confirmation de la reprise de l’épidémie, le bel été de Jean Castex risque de se transformer en rentrée pluvieuse voire en tempête sociale ou politique.
Plus spécifiquement, une aggravation de la crise sanitaire risque de mettre à mal la crédibilité du Premier ministre, ancien délégué interministériel au déconfinement. Le dernier baromètre IFOP-JDD publié le 23 août montre qu’il ne s’agit pas d’une pure spéculation puisque le Premier ministre perd 7 points en un mois et passe sous les 50% de satisfaits. Le Président devra tôt ou tard reprendre la main et proposer au pays une vision globale claire de sa stratégie et de ses objectifs, ce qu’il n’a pas vraiment réussi à faire au cours des trois premières années de son mandat. Dans la 5ème République, la communication du Président reste la clé de voute de la vie politique.